[ENTREVUE] Tous Azimuts ou réflexion sur l’autoproduction

 

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Lundi soir nous avons eu l’occasion de nous entretenir avec Hubert Michaud et Clément Desjardins, membres de Tous Azimuts (à droite sur la photo). L’entrevue glissant subrepticement vers la discussion, nous avons causé, sous la trame d’une entrevue, du métier d’artiste émergeant et de sa réalité.

Fondé en 2010, le groupe est sur le point de lancer son troisième disque. On y retrouve encore la voix chaleureuse de Jordane Labrie, la chanteuse, ainsi que la musique parfois introspective parfois blues/folk des deux guitaristes interrogés, de Félix-Antoine Gélineau à la basse et de Gabriel Lavoie à la batterie. Amis du secondaire pour la plupart, ils ont cheminé partageant leur temps entre école et musique, ce qu’ils font encore aujourd’hui. Maintenant à l’université, ils ont plusieurs concerts à leur actif, dont quelques-uns au FEQ, ainsi qu’un groupe de fans.

Afin de réaliser leur nouvel album, Kilomètre Zéro, ils ont cette fois choisi d’opter pour une campagne de sociofinancement. Cela permettait de répondre à deux de leurs besoins : trouver du financement pour finir l’album d’une part (diffusion, production physique, avancer les fonds nécessaires) et trouver une méthode de prévente sympathique d’autre part. La formule des kick-starters et Indiegogo offraient cela avec leurs «packages» intéressants, qui ne se résumaient pas seulement à la vente de CD. «On voulait en offrir à nos fans de première heure. On a été chanceux d’avoir une crowd dans les débuts pis on voulait aussi prendre soin de ces gens-là et leur offrir un produit lefun», explique Hubert. Ils ont d’ailleurs eu une réponse positive du public et ils en étaient très heureux. Ils ont dépassé leur objectif assez vite.

Bien plus que dans le financement de leur album, Tous Azimuts cherchent l’autonomie dans presque tous les domaines connexes à leur musique : «Avec mes frères, les quatre frères Desjardins, on a fondé les Disques Freelance Vision pis on a énormément de stock de studio, ce qui fait qu’on est autonomes pour enregistrer notre musique et qu’on se donne les moyens pour être autonomes aussi pour la mise en marché», affirme Clément. «Au moins ça nous donne de la tranquillité en studio que d’autres bands n’ont pas. Quand tu enregistres en studio, il y a le facteur limitant de l’argent», ajoute Hubert. Cela leur permet d’explorer de nouvelles sonorités et de travailler leur art un peu à la manière d’artisans.

Leur dernier album, de fait, produit pour la première fois de A à Z par le groupe, a été une expérience particulière pour eux. En mettant la main à la pâte et en confectionnant même les pochettes à l’aide d’étampes et de cire, ils ont pu offrir à leurs auditeurs et à leurs fans un produit personnalisé et fait main. «Ça fait durer le plaisir d’une sortie d’album, ajoutent-ils. On accepte que ce soit tout croche aussi, […] c’est pas parfait pis notre musique est pas parfaite, t’écoutes l’album pis il y a des erreurs, mais je pense que l’intégrité au moins c’est un pari qui est plus plaisant pour les auditeurs.» Ils avouent aussi vouloir, par leur choix de production, faire un clin d’œil à l’époque des «bootlegs», évoquant une ère où les fans enregistraient illégalement les spectacles de leurs artistes préférés à l’aide de magnétophones : malgré le côté «tout croche», «t’avais l’impression d’avoir quelque chose de spécial pis d’unique dans les mains», explique Clément.

Or, il y a un autre côté à cette médaille. De fait, même si la production directe des artistes est gratifiante et même si elle permet à l’artiste de rejoindre directement son public, c’est aussi une technique qui demande énormément de temps et qui ne sera pas nécessairement lucrative. C’est pourquoi le groupe préfère voir leur musique comme une passion, semble-t-il, plutôt que comme une gagne-pain : «Quand l’artiste cherche à plaire, dit Clément, je trouve qu’il se détourne de sa vocation réelle. La vocation d’un artiste c’est d’exprimer quelque chose qui est artistique. Quand ton but premier c’est le mercantilisme, ça te détourne de ta vocation réelle qui est l’esthétique. […] On sonne pas comme ce qui est à la mode en ce moment, et je pense que ça n’arrivera jamais en fait !»

À l’écoute de Kilomètre Zéro, c’est d’ailleurs cette passion et ce dévouement à l’art qu’on peut sentir. Musique élaborée accompagnée de textes réfléchis, souvent librement inspirés de poésies ou d’autres œuvres littéraires, cela donne un mélange inusité et unique. On peut sentir, comme nous le confirment les musiciens, un fil conducteur tout au long du disque. Expliquant que les textes ont tous été écrits à peu près dans la même période, Clément, l’auteur de la majorité des chansons, tient à laisser planer un mystère sur cette construction de l’album. L’auditeur aurait une vocation d’imagination qu’il serait en devoir d’explorer lui-même.

Pour cette raison, je vous conseille fortement l’écoute de leur nouvel album, qui sera lancé le 9 mai au Cercle pour ce qui est de la ville de Québec. Quelques extraits sont disponibles sur leur site officiel. Vous pouvez les suivre aussi sur leur page Facebook, ainsi que contribuer à ladite campagne de sociofinancement, qui prendra fin d’ici environ une semaine. Et pour finir sur une touche chaleureuse, Clément nous a fait part d’une citation de son maître à blaguer Groucho Marx. De fait, malgré le sérieux musical du groupe, chacun de leurs spectacles est comme une fête, et l’ambiance y est plutôt chaleureuse. Hubert l’explique ainsi : «Pourquoi c’est si rassembleur et si chaleureux que ça ? C’est parce qu’en soi c’est une fête pour nous […], on adore être sur scène.» Il n’y manque pas de jeux de mots non plus, à mon grand plaisir! Sur ce, la blague va comme suit :

«Je trouve que la télévision est très éducative : dès qu’elle est allumée, je vais dans ma bibliothèque prendre un bon livre.»

Crédit photo: Elias Djemil