Critiquer un album n’est jamais un travail objectif. Il faut donc tenter de trouver une perspective qui soit la plus proche de ce qui pourrait y ressembler. Pour cette critique, ce sera impossible. Modest Mouse est un groupe âme soeur avec lequel je connecte presque aveuglément. Pour les néophytes, il faudra regarder du côté de Lonesome Crowded West paru en 1997 ou de Moon & Antarctica en 2000 pour goûter au fruit de leurs réalisations les plus adulées.
Ce nouvel opus, Strangers To Ourselves, s’est laissé désirer. Plusieurs chansons de l’album sont performées en spectacle depuis 2010, mais l’album vient tout juste de paraître, 8 ans après la dernière offrande We We’re Dead Before The Ship Even Sank. Modest Mouse est un groupe a géométrie variable et ils ont perdu l’un des trois membres fondateurs dans le processus, le bassiste Eric Judy ayant décidé de quitter son poste, remplacé par Russell Higbee (ex Man Man). La construction de leur propre studio à Portland combiné au souci du détail quasiment maniaque de son leader Isaac Brock explique donc le long délai entre les deux derniers albums. 15 chansons c’est beaucoup à digérer et il faut admettre que cette fois la cohésion n’est pas toujours présente. Par contre, individuellement, les chansons fonctionnent et l’album permettra d’ajouter d’excellentes chansons au catalogue déjà bien garni. D’autant plus qu’en spectacle le groupe change sa liste de chanson tous les soirs pigeant dans tous les recoins de leur discographie.
En ouverture, la pièce Strangers To ourselves est une délicate ballade habilement teintée de violon par Lisa Molinaro, une addition bienvenue au son du groupe. On reconnait ensuite le son typique du groupe grâce au premier simple Lampshades on Fire et à la pièce suivante Shit In Your Cut. L’écriture de Brock pour cette dernière est assez représentative de son univers (when the doctor finally showed up / his fur was soaking wet / he said that « this should do the trick » / we hadn’t told him what the problem was yet). Ansel, dans une rare excursion en territoire clairement biographique, raconte la dernière rencontre de Brock avec son demi-frère avant sa mort tragique. Les accents hawaïens de la chanson détonnent d’une surprenante façon avec le sombre propos des paroles. Le coeur de l’album (Ground Walks, Coyotes et Pups To Dust) est mélodiquement irréprochable, cette dernière étant bâtie sur un des riffs les plus intéressants du disque. L’album se poursuit avec plusieurs pièces explosives telles la carnavalesque Sugar Boats, Be Brave, The Best Room, ou la très réussie The Tortoise and the tourist avec ses explosions de guitares torturées si typiques du style de Brock. L’épiloque Of Course We Know surprend avec une réalisation minutieuse et de nombreuses couches d’instrumentation qui viennent enrichir une mélodie à la fois répétitive et obsédante. Malgré toutes ces réussites, il y a aussi quelques chansons polarisantes qui viennent parfois briser un peu la cadence établie, on pense à Pistol (que j’aime bien personnellement) et Wicked Campaign. Avec plus de 8 musiciens sur l’album, les possibilités sonores sont vastes et pourtant on reste parfois avec l’impression qu’ils pourraient s’éclater davantage.
Ça reste un retour réussi et un album généreux. La force du groupe étant justement d’apporter l’auditeur dans un voyage sonore tortueux. On regrette l’absence d’une pièce de 7-8 minutes qui sied si bien aux albums du groupe.