Réunissant une belle brochette d’artistes locaux (lire Montréal et Québec) et d’autres issus de la métropole ontarienne, la première soirée de l’édition 2015 du Montreal Psych Fest a fait durer la musique jusqu’aux petites heures de la nuit au Divan Orange sur St-Laurent. Des obligations radiophoniques me retenant à Québec jusqu’à 20h00 tapantes (voir les Transmissions Transversales, si vous voulez en savoir plus), nous n’avons pas réussi à arriver à temps pour voir le plus récent projet de Roy Vucino (Pypy, Red Mass, CPC Gangbangs, Sexareenos) qui porte le très poétique nom Birds of Paradise. La première des quatre formations venait à peine de terminer son set et on constate rapidement quelque chose de beau et de surprenant : il y a une ou plusieurs filles dans tous les groupes sélectionnés pour la soirée d’ouverture, rompant sur le champ les préjugés à l’effet desquels la musique psychédélique est généralement poilue et peu hygiénique. Nous sommes donc arrivés pendant l’entracte, mais rapidement, après qu’on ait brièvement rencontré les organisateurs du festival, la formation torontoise CROSSS prenait d’assaut les tympans des convives réunis pour la grande messe psychédélique concoctée pour l’occasion. Un projectionniste était même sur place pour bonifier le pendant visuel de l’expérience, contribuant à nous mettre dans le bon état d’esprit pour apprécier ce que l’avenir nous réservait.
Quatuor rock hyper pesant formé de deux gars et deux filles, la formation CROSSS, fière de ses deux parutions, a déversé son fiel musical avec aplomb, malgré certains problèmes techniques qui ont ponctué la performance. Ils ont enchaîné des pièces tantôt rapides et tantôt lourdes et lentes comme une journée de canicule en enfer, toujours avec un bon groove assez stoner mais jamais monotone. Le son était parfois excellent et parfois nourri du crépitement des décibels excédentaires, ce qui a empêché la performance d’être complètement captivante, car les petits accrocs étaient juste suffisants rompre l’effet d’immersion, malgré tous les efforts du groupe pour hypnotiser les témoins. Qu’à cela ne tienne, ils ne se sont toutefois pas empêchés de faire un jam frénétique dont la montée en intensité spectaculaire et captivante permettait de ramener au bercail les brebis égarées. Le délire de distorsion a servi d’introduction pour la dernière pièce du groupe, fort appréciée de la foule si on se fie aux applaudissements, malgré l’apparente paralysie dont cette dernière semblait frappée. Il faut dire que les morceaux composés par CROSSS invitent peu à la fête et à l’euphorie, pour excuser la foule, et je m’attendais donc à ce que la progression des deux groupes suivants vers un son plus festif et dansant allait suffire à lui délier les membres.
Suite à une autre brève introduction, le trio torontois fondé par Jeff Clarke (Demon Claws, Hellshovel) et mené par sa femme Emily Bitze, qui porte le très agro-alimentaire nom de Milk Lines, a présenté les pièces de son plus récent album Ceramic, un produit de la réputée maison de disque In The Red. Également réalisée avec Kyle Connolly, le bassiste de Wish, et d’Omri Gondor, qui accompagne Clarke dans Hellshovel, à la batterie, leur musique est une drôle de bête. Réunissant le pop-rock-psychédélique de la fin des années 60, comme Jefferson Airplane, et le country-folk plus traditionnel, leur musique est assez originale tout en s’appuyant sur des influences assez nettes. Les deux styles présents dans le corpus du groupe se mélangent parfois relativement bien, mais généralement, on passe d’un genre à l’autre en étant un peu bercés dans la perplexité, les moments plus country-americana dominant trop souvent l’expérience globale à mon goût. Reste que la formation a le mérite de proposer quelque chose de fort novateur, et le charme de la chanteuse-guitariste réussit à lui seul à captiver l’attention et à la conserver. Les rythmes un peu plus rapides de leurs compositions ont permis à la foule de se délier légèrement les membres, même si celle-ci demeurait statique, voire catatonique, la majorité du temps, peut-être eux aussi fascinés par la voix de la chanteuse. On se croyait parfois plongé dans le passé et en face de Grace Slick des susmentionnés Jefferson Airplane, tant la prestance de l’artiste dégageait quelque chose de mystérieux et d’agréable jusqu’à ce que les dernières notes se soient éteintes.
La place s’est vidée à nouveau pour l’entracte, le temps que la foule puisse reprendre son souffle et diminuer l’espérance de vie de ses poumons, me donnant brièvement l’impression que tout le monde se pousse avant la performance du trio rock chouchou de Québec, Ponctuation. Fort heureusement, ce n’était pas le cas et tout le monde a rapidement repris sa place alors que le groupe, fraîchement monté sur scène, commençait le spectacle avec la première pièce de leur plus récente parution, l’excellent « La réalité nous suffit ». Comme la soirée leur prévoyait la place d’honneur, le groupe a offert un set plus long aux mélomanes réunit sur place, allant même jusqu’à intégrer des pièces insérées dans leur corpus depuis leur genèse, comme La fille à la mini-jupe. Livrant une performance énergique et survoltée où les mots avaient peu de place, le groupe enchaînait sans transition des hits de ses différentes parutions et la foule, qui semblait ravie, dansait et se mettait même parfois à slammer quelques instants. Puis, coup de théâtre, en pleine chanson, une des cordes du milieu de la guitare de Guillaume Chiasson lâche, ce qui n’a pas empêché le musicien chevronné de livrer la marchandise avec assurance jusqu’à la fin de la pièce. Il faut dire qu’il n’y allait pas de main morte et que cumuler les rôles de guitare principale et secondaire, parfois en même temps, n’a pas dû aider la corde à survivre. À ce moment là, il a proposé aux fans de patienter le temps qu’il change sa corde de guitare, parce que naturellement, la guitare de remplacement est souvent celle sur laquelle les musiciens ont le moins envie de jouer. Le tout s’est déroulé très rapidement, ne brisant que très peu le rythme de la performance, alors que Maxime Chiasson et Laurence Gauthier-Brown, respectivement à la batterie et à la basse, divertissaient la foule avec une petite impro en duo.
D’autres pièces du premier album, « 27 Club », ainsi que de l’excellent 7″ « Léche-vitrine » se sont enchaînées sur fond de projections hallucinantes gracieuseté Tania B. Lacasse, qui occupe parfois ce poste aux côtés de Ponctuation. À la fin de la performance, pendant la dernière chanson, une demie-douzaine de fêtards sautaient partout et dansaient en lâchant le fou qu’ils avaient accumulé depuis le début de la soirée. Malheureusement, lorsque les dernières notes se sont dissipées, les applaudissements clairsemés de la foule n’ont pas suffi à ce qu’un rappel ait lieu, privant probablement la foule des pièces La Bouteille et Cortisol. Pourtant, quelques minutes plus tôt, entre les pièces, les applaudissements nourris et les cris de la foule laissaient croire qu’elle était encore capable d’en prendre. Tout au contraire, elle s’est rapidement dissipée, profitant de la fin de la dernière pièce du concert pour quitter sans demander son reste. Disons qu’on était à cent lieues de l’ambiance complètement survoltée qui régnait pendant le concert donné à des centaines de kilomètres au nord la semaine précédente, dans le cadre du FME de Rouyn-Noranda.
Cette première soirée est donc une réussite malgré les quelques bémols et on ne peut espérer que le meilleur pour ce soir, alors que le supergroupe montréalais Pypy (Red Mass, Duchess Says) tentera de faire fondre la face des mélomanes qui se réuniront à la Vitrola pour leur concert et pour ceux de Demon Claws, de Pachyderm et des Marinellis. Est-ce que ces derniers réussiront à faire lever le party et à foutre le bordel en bonne et due forme? Jeudi soir au OUMF, la rumeur veut qu’ils aient créé bien des maux de tête aux techniciens de son qui regardaient l’équipement de scène se faire asperger de bière et de mousseux par les hurluberlus de la troupe rock. Chose certaine, la musique sera bonne même si la foule ne bouge pas.