Pour une troisième soirée consécutive, je me suis rendu aux festivités organisées par le Montreal Psych Fest pour dire officiellement au revoir à l’été et à la saison par excellence pour les concerts. La météo s’était d’ailleurs mise de la partie pour aider à faire réaliser que ça tire à sa fin et que ça doit se terminer en beauté. Pour bien vivre l’expérience proposée par mère nature, j’ai fait un détour par le OUMF pour assister à l’excellent concert du trio jazz-hip hop torontois, Badbadnotgood. Le trio basse-batterie-clavier avait fait appel à son collaborateur fréquent, le saxophoniste Leland Whitty, qui accompagne le groupe à l’occasion pour saupoudrer de saxophone leurs concoctions musicales. Ils ont profité de l’occasion pour tester beaucoup de nouveau matériel qui, si on se fie à cet aperçu, sera beaucoup plus près du jazz traditionnel. Il faut dire que les gars font informellement partie d’un mouvement qui s’est donné pour mission de redonner ses lettres de noblesse au jazz, tous les Flying Lotus, Thundercat, Kamasi Washington de ce monde (ces trois types ayant par ailleurs uni leur forces pour aider Kendrick Lamar à réaliser l’album hip hop de l’année). La pluie n’a pas tellement refroidi les ardeurs des mélomanes qui étaient réunis en assez grand nombre pour assister au concert donné par les mauvais garçons du jazz canadien, car il y avait à peu près autant de monde que la veille pour le concert d’Eman X VLooper, mais sans qu’une météo radieuse ne vienne bonifier l’expérience. Ils semblaient fort heureux d’être là et plus généralement, d’avoir la chance de faire leur métier et d’en tirer un certain succès et une reconnaissance critique de ceux dont l’opinion compte à leurs yeux.
Comme nous sommes arrivés à la Vitrola une bonne demie heure avant le début du premier concert, nous avons pu nous reposer un peu et apprécier le charme vétuste de la place, qui selon ce qu’on rapporte, vient compléter le tandem Casa del Popolo-Sala Rossa pour les salles opérées par des gars de la sensation post-rock anglo montréalaise Godspeed!youblackemperor. Cette soirée s’annonçait comme celle qui me parlait le moins, comme je ne connaissais pas beaucoup la musique des groupes sélectionnés pour cette troisième et dernière soirée du MPF2015, et je peux dire que c’était vraiment un cas de « underdog » car elle allait surpasser avec virulence les attentes timides que j’avais. C’est sous une pluie de décibels causés par un assourdissant mur de bruit que les six membres du groupe montréalais au plus joli nom, Il Danse Avec Les Genoux, a pris la scène d’assaut pour épater le public avec leur mélange optimal de sonorités abrasives, de riffs hypnotisants et de structures progressives. On se serait parfois crus devant l’enfant bâtard excentrique des hurluberlus japonais d’Acid Mothers Temple & The Melting Paraiso U.F.O. et des bordelais de Brian Jonestown Massacre. Certaines sonorités rappelaient aussi celle des Black Lips, le groupe qui a servi d’étalon de comparaison tout au long de la fin de semaine. Il arrivait qu’on nage en plein délire spatial de synthétiseurs et pour atterrir dans groove irrésistible qui s’installait inexorablement à mesure que la pièce se construisait. L’ajout d’une voix féminine comme vocal de soutien a procuré des résultats fort convainquants, tellement qu’on aurait souhaité que les compositions du groupe en soit davantage peuplées. Le guitariste Mertin Hoëk qui sévit également dans Crabe et Cyanide Eyes, a sû élargir les horizons sonores du groupe et ajouter à la redoutable efficacité d’I.D.A.L.G. Si les rythmes sont souvent fort novateurs, ils sont également très efficaces, ce qui est en soi une belle surprise, l’innovation ayant trop souvent à être sacrifiée au nom de l’efficacité. Malheureusement, il manquait un peu de basse et de vocaux, qui semblaient pour la plupart prononcés dans la langue de Molière, pour que l’expérience soit parfaite. Je me disais malgré tout durant toute la performance qu’une fois la poussière retombée, ce serait sans contredit ma découverte-coup de coeur du MPF2015 et je ne me suis pas trompé dans mes calculs, ce qui ne veut pas dire que le reste de la soirée s’est pour autant déroulée comme une visite guidée dans un bureau d’analystes fonctionnels.
Second groupe à prendre place sur scène, seconde claque au visage ; Adam Strangler se sont d’abord révélés comme plus posés, moins psychédéliques, plus pop et plus rock traditionnel, avec même une touche grunge ou alternative par moments. Le chanteur-guitariste assurait avec aplomb et son registre vocal fort varié, rappelant parfois celle qu’on attend dans Muse ou celle du chanteur de Radiohead, Thom Yorke. L’ajout d’une guitare douze cordes que s’échangeaient les musiciens pendant la performance ajoutait une belle profondeur à l’univers sonore du quintet.Les basses fréquences étaient mieux servi et le mix sonore plus réussi, ce qui facilitait la tâche aux compositions un peu plus catchy pour gagner le coeur du public, qui est toutefois demeuré presque inerte pour la majorité de la soirée. C’était peut-être le groupe le moins psychédélique et le plus pop qui s’est produit cette fin de semaine, mais il avait tout de même sa place aux côtés des autres, jouxtant souvent leur univers sonore.
Après une brève introduction, le rock festif tonitruant des torontois de The Auras a pris les tympans des mélomanes en grippe. C’était la seconde fois que j’avais la chance de voir leur concert plutôt bien rodé, comme ils sont passés par les Nuits Psychédéliques à Québec en avril dernier, et leur affaire s’est bien développée car les gars semblent avoir pris du galon en l’espace de quelques mois. Ils ont d’ailleurs annoncé qu’un nouvel album était sur le point d’être publié et que plusieurs des chansons interprétées allaient se retrouver dessus. Pour faire patienter leurs fans, ils ont décidé de donner les copies restantes de leur second EP. Avant d’aller parfaire mes connaissances muni du pamphlet de programmation, The Auras était le seul groupe que je connaissais de la soirée du samedi, le seul pour lequel j’avais donc des attentes et celles-ci n’ont pas été déçues. Les compositions du groupe sont un savant alliage de fête et de délires, c’est aussi catchy que c’est intéressant et le groupe propose une formule qui, si elle n’est pas complètement inusitée, est toutefois fort réussie, parmi les plus efficaces dans le genre. L’ajout de la guitare douze cordes apportait encore une fois une dimension intéressante aux paysages sonores concoctés par les torontois, les montées de guitare étaient à la fois vaporeuses et cools, donnant envie de brasser de la tête en cadence sur les riffs souvent stoners. La performance, énergique et fort sentie, s’est conclue par un mur de noise et le guitariste qui était le plus discret pendant la performance s’est tortillé au sol pour sortir les derrières notes de son instrument. La foule et le groupe semblaient ravis de se trouver en présence l’un de l’autre. La suite de la soirée aurait fort à faire pour poursuivre sur cette incroyable lancée, parce qu’à date, on avait un triplé de solides et divertissantes performances.
La quatrième formation à monter sur le stage était la troisième et dernière de provenance montréalaise prévue au programme de la soirée, la scène rock psychédélique de la métropole ayant eu la part belle pour cette soirée de conclusion. Le groupe était pour moi une découverte récente et j’avais hâte de voir ce que la voix très particulière du chanteur allait donner en direct, car ce genre de vocal nasillard et très stylé est souvent plus approprié et mieux servi par les enregistrements que par les concerts. Power trio d’allure modeste, le vocal était généralement assuré par le batteur et il ne se comparait que peu avec ce qu’on pouvait entendre sur leur disque homonyme paru récemment sur la montréalaise Kapuano records. Le guitariste avait des allures de guitar hero, un passage obligé pour un power trio s’il veut divertir son auditoire. Les vocaux ressemblaient parfois aux grondements du chanteurs de Neurosis, moins éraillés et éthyliques que je n’aurais imaginé. Le style raffiné que le groupe met en place sur disque ne se transpose que peu sur scène, leur répertoire tirant plus du côté du stoner métal bien lourd comme Dopethrone pour l’essentiel du set. La musique était généralement pas mal bad ass, on se retrouvait souvent en territoire sudiste, dans des registres sonores explorés par Pantera ou High on Fire, entre autres. La fin de concert, toute en lourdeur, est arrivée un tout petit peu trop tard pour que le momentum perdure véritablement. On avait plutôt l’impression que la performance s’étirait un peu sur la fin et la fatigue et l’exaspération de la foule, et des musiciens du dernier groupe, se faisait sentir. L’effet aurait probablement été meilleur un peu plus tôt en soirée et le son du power trio, après des plus larges formations, paraissait parfois un peu mince comparativement à ce qu’on avait pu entendre plus tôt dans la soirée. Pour accentuer l’effet de perte de vitesse, la dernière entracte a semblé plus longue qu’à l’accoutumée et le dernier groupe à fouler les planches de la Vitrola samedi soir a finalement pris place tôt dimanche matin, entre deux heures et deux heures quinze.
Heureusement pour la poignée de festivaliers ayant daigné rester sur place jusqu’à cette heure tardive, les gars de Human Eye ont rapidement montré qu’ils avaient beaucoup de coeur au ventre. Malgré un petit accroc avec les séquences utilisées en guise d’introduction, notamment Also Sprach Zarathustra de Strauss, le show a rapidement levé. Le chanteur guitariste avait les allures d’un Jack Black blond et agrémentait sa performance explosive de mimiques faciales spectaculaires. La lampe en forme d’oeil géant complétait à merveille le décor et la musique, qui s’apparentait parfois à celle de Red Mass, était fort efficace et entraînante, des traits forts appréciables à cette heure tardive. La foule clairsemée a apprécié le concert sans trop se mouvoir, concentrée à écouter le rock psychédélique du groupe qui rappelait aussi celui des plus belles années du genre, les années 70. Le synthétiseur était plutôt étrangement intégré et je serais curieux de voir l’effet sur disque parce que généralement, je trouvais l’instrument superflu ou même déroutant dans les compositions du groupe. Le chanteur guitariste était tout un showman mais sacrifiait souvent l’exactitude de l’interprétation pour alimenter son sens du spectacle. Les chansons étaient judicieusement sélectionnées pour faire une belle progression, l’intensité est montée constamment avec la qualité des chansons jusque vers la fin de la performance, où une pièce plus molo est venue rompre définitivement le rythme et m’inciter à me trouver un endroit dont l’horizontalité me faisait déjà rêver, avec mes jambes meurtries par un énième marathon estival de spectacles.
J’ai dû quitter avant les dernières notes mais j’étais véritablement repu de toute la distorsion rocheuse que j’avais absorbé depuis mon arrivée dans la métropole. On peut donc déclarer cette édition du MPF, la quatrième depuis l’inauguration de l’évènement en 2012, comme un franc succès. La troisième soirée, de loin la plus surprenante par rapport au faible niveau d’attentes qui m’y ont conduit, a bien clôturé le festival pour ma part, comme j’ai évité l’afterparty et le show secret qui devait s’y dérouler jusqu’au jour. Côté musical, a choisi cette année plusieurs projets similaires, ce qui a un tout petit peu joué contre lui. Ce n’est pas par chauvinisme que je remarque que la diversité des projets présentés aux Nuits Psychédéliques de Québec permet à l’organisation de cette dernière de bâtir une intéressante narrativité pour leurs soirées, qui sont mémorables de A à Z et sont minutieusement orchestrées au détail près et mises en scène dans un habillage visuel fort soigné. À côté des Nuits, le MPF semble manquer un peu d’amour, mais tout le potentiel est là pour en faire un incontournable dans la vie culturelle montréalaise. Il faut dire qu’à Québec, dans un plus petit marché, il est plus aisé de créer un effet d’entraînement et d’assurer le soutien indéfectible de plusieurs intervenants clés dans le milieu, bonifiant l’expérience. Le fait d’avoir deux scènes qui peuvent s’alterner et de relier les deux par un habillage visuel fort élaboré permet aux Nuits Psychédéliques de prendre l’avantage comparatif sur le MPF, qui semble laisser un peu plus de choses au hasard ou s’arranger davantage avec les moyens du bord, l’exemple par excellent pour ça étant le rack à manteaux trop petit muni d’un drap qui servait d’écran de projection mais qui était beaucoup trop petit pour ne pas sembler loufoque. Quoiqu’il en soit, on peut déclarer le Montreal Psych Fest 2015 comme un franc succès, même si je serais curieux de connaître les chiffres de l’assistance. Trois soirées musicales de grande qualité ont été proposées aux mélomanes réunis dans les deux salles investies par le festival, pas moins de quatorze formations intéressantes ont pu présenter leur art au public, dans un contexte cohérent et approprié. J’ai déjà hâte de voir ce que l’organisation nous réserve pour l’an prochain, l’offre musicale étant année après année d’une grande qualité.