[Entrevue] La Gypsy Kumbia Orchestra : la danse pour changer le monde !

Lors de leur passage au Cercle, j’ai pu m’entretenir avec Anit, violoniste et directeur musical de Gypsy Kumbia Orchestra. Mon petit calepin de notes n’était cependant pas assez efficace comme moyen de prise de note, j’ai donc décidé de rejoindre Anit par téléphone afin qu’il me raconte un peu son groupe. Voici ce que ça a donné:

Salut Anit,

J’aimerais en premier lieu que tu me dises c’est quoi au juste l’histoire de Gypsy Kumbia.

Tout a commencé avec la Salsa descalza, un collectif de danseurs et de musiciens qui se sont donné pour objectif de faire connaître et partager la danse. Carmen et Sebastian du collectif avaient le rêve de créer le groupe afin de mélanger la musique des Balkans avec la musique Afro-colombienne. Et c’est Sébastien qui m’a demandé de faire la direction musicale du groupe. Avec un aussi gros groupe, c’est pratique d’avoir quelqu’un qui arrange les partitions et qui s’occupe de tout l’aspect musical. Ça fait maintenant trois ans depuis le premier concert. On a fait le tour de la Gaspésie, du Nouveau Brunswick et de l’Ontario. On est aussi allé un mois en Colombie en hiver 2014 ainsi qu’en France dans la vallée de la Loire ce printemps.


Parle-moi un peu plus des influences musicales du groupe.

C’est à part égale la musique afro-colombienne qui est très présente dans les percussions, particulièrement dans la tambora, l’alegre, le llamador et les maracas. Puis la musique des orchestres et fanfares de l’Europe de l’est. Normalement, dans les ensembles de l’Europe de l’est, on retrouve soit des cordes, soit des cuivres, mais avec la GKO on mélange les deux. Il y a bien quelques groupes qui font un peu dans cette veine, notamment Mahala Rai Banda, qui mélange violons, chants, cuivres, etc., mais ça demeure quand même hors du commun.


C’est quoi la musique Afro-Colombienne?

C’est un mélange de trois influences : les musiques autochtones avec la flute gaita et percussions, des musiques africaines noires et influences européennes. Il y a une cumbia plus traditionnelle avec percussions, flute, chants, et certains artistes reprennent ça aujourd’hui : Petrona Martinez, Toto La Momposina, puis los Gaiteros de San Jacinto, qui jouent la cumbia « ancienne », mais à une époque, dans les années 50 et 60, les gens faisaient des fanfares de big band pour faire danser les gens. Ça a donné une cumbia beaucoup plus arrangée avec la basse électrique et les cuivres. Puis la cumbia a eu une grande influence en Amérique latine. Plusieurs pays ont adopté leur propre version de cumbia comme, par exemple la chicha péruvienne. Le Mexique, la Bolivie, l’Argentine, le Chili et d’autres pays latino-américains ont tous aussi développé leur version de la cumbia. Des fois le rythme ressemble au reggae, son rythme polyvalent peut être repris tout en gardant la nature de base de la cumbia. La musique afro-colombienne englobe aussi une famille de plusieurs autres rythmes: porro, mapale, fandango, etc… On s’inspire de tout ce qui relève de ce genre de musique, autant du point de vue des mélodies que de l’instrumentation, mais aussi des rythmes et mélodies de l’Europe de l’est, notamment des rythmes impairs 9/8, 7/8, 9/4, qui sont des rythmes appartenant aux danses populaires de ces pays.

Quels sont les défis à surmonter quand on a un projet de cette envergure ?

Il ne manque pas de défis, tant au niveau de la gestion qu’au travail de création souvent collectif.
Booking des spectacles et des tournées, demandes de subventions, gestion des finances, graphisme et publicité sans oublier bien sûr tout le travail au niveau de la danse, de la mise en scène et de la musique ! Beaucoup de membres du groupe sont proactifs dans la gestion et dans l’accomplissement des différentes tâches à faire, alors on y arrive!


Comment ça se passe de ton côté pour la musique ?

J’essaie d’être à l’écoute de ce qui nous inspire, et de ce qui inspire les musiciens. Puis je vise un juste milieu. Je ne fais pas des arrangements inutilement complexes, mais plutôt efficaces. Notre objectif premier demeure danser et faire danser. D’ailleurs les musiciens dansent lorsqu’on joue les arrangements. On cherche à faire une musique dansante et ressentie, qui donne des émotions fortes. Il y a aussi eu 4-5 autres membres du groupe qui ont contribué à l’album en tant que compositeurs. Le directeur artistique, Juan Perditi, a l’idée de base derrière le spectacle. Il a une vision pour la mise en scène et le déroulement du spectacle et je m’organise pour que la musique soit fidèle à cela !


Est-ce que la réaction est la même partout ? Les gens dansent-ils toujours ?

Oui ! J’ai trouvé que non seulement ils dansent, mais le spectacle plaît à un auditoire très divers, jeune, vieux, québécois, latino, gens de l’Europe de l’est, même les hipsters! Tout le monde y trouve son compte. On reçoit aussi beaucoup d’appréciation des amis musiciens qui ont des oreilles critiques, qui ont vu le chemin qu’on a fait ensemble et qui expriment des bonnes choses. Il faut dire que le groupe est très jeune – trois ans seulement – c’est donc toujours en croissance, en apprentissage musical, scénique, et notre capacité à rejoindre le public est toujours plus forte. Depuis nos débuts on remplit une fois par mois la Sala Rossa, qui est une salle de plus de 300 personnes, et récemment on a rempli le Club Soda pour le lancement juste après celui de Québec.


Quand vous avez joué au Cercle en septembre, vous parliez de revenir jouer le mois prochain. Est-ce que ce sera le cas et à chaque mois? C’est quoi l’objectif pour les spectacles ?

Depuis quelques années on souhaite pouvoir avoir une journée mensuelle à Québec comme celle que nous avons à Montréal. À Montréal on n’a pas de trop de problème à avoir notre public. On va voir pour ce qui est de Québec, si le public est capable de remplir la salle. Il faut dire qu’il y a aussi une grande diaspora colombienne à Québec donc il y a certainement un bon potentiel.

Comment l’album a-t-il été produit ?

Autant que possible, on a enregistré tous en même temps. Les solos ont été enregistrés en même temps aussi, il n’y a donc pas d’overdub sauf pour des questions de logistique. Lorsqu’un musicien ne pouvait pas être là par exemple. Donc, pour la plupart des instruments, on a tout fait en même temps, mais chaque groupe d’instruments dans une pièce différente pour se garder un certain contrôle dans la sonorité. L’album a été enregistré au studio Tone Bender avec Olivier St-Pierre [N.d.r. : pas moi!]. Je ne sais pas ce que toi tu retires comme émotion en écoutant l’album, mais c’est voulu dans le spectacle et dans le disque que chacun puisse en tirer son propre message. Il reste libre à l’interprétation. C’est notre approche artistique. Je suis satisfait que l’on exprime avec cet album un certain besoin de changement du système de valeurs qui domine dans la société. On sent partout ce besoin de renouveler notre société, notre être, nos actions et d’y arriver en se responsabilisant soi-même, en se donnant le droit d’être artiste, d’être un héros, d’être un vecteur de changement et ne pas s’attendre à ce qu’un élément extérieur amène ce changement. C’est un message constant dans ce qu’on fait.

Est-ce que ça se reflète plus fortement dans une chanson particulière ?

C’est présent partout dans l’album et dans le texte. Mais il y a bien une série de quatre chansons qui commencent avec Gaïa Bolo. Ces quatre chansons symbolisent la mère terre qui exprime sa déception envers ses enfants. Est figurée ensuite une époque de cataclysme écologique qui dévasterait la surface de la terre et qui apporterait du nouveau. S’ensuit la renaissance de la vie et des prochains chapitres de la belle époque de la planète. Il y aussi Alta Cima, où le texte dénonce l’accumulation de plus d’argent que ce dont on a réellement besoin. Il y a Maxicumbia où on utilise cette phrase qui dit qu’on n’est pas tous des artistes, mais qu’en tant qu’êtres, on a besoin d’être artistes. On a tous le droit de s’exprimer artistiquement, sans forcément être de grands artistes chevronnés. Tout le monde a le droit de s’approprier ce qu’il y a de beau dans les arts et de l’appliquer dans sa vie.


Est-ce que tu veux dire quelques mots de l’album de ton autre groupe Ayrad ?

Oui ! Il s’agit d’un tout autre type de production, très studio, très raffiné. Et le projet connaît un bon succès. On a été nommés aux Juno pour l’album de musique du monde de l’année ainsi qu’au Canadian music awards et à l’ADISQ. On est allés jouer pour l’ambassade Canadienne au Qatar, puis en Écosse au « Mela » d’Édimbourg. C’est un projet très intéressant où on s’inspire des racines de musiques marocaines avec des chansons très vieilles qui sont reprises ou des styles de musique qui viennent des villages ou des confréries soufies. On mélange ça avec un ensemble urbanisé : drum, guitare et basse électrique, percussion, hautbois, violon. C’est une formation peut-être un peu plus rock mais qui reflète aussi des côtés « roots » marocaine.

Merci beaucoup pour ton temps Anit !