Joanna Newsom est, à mon avis, une artiste importante de la scène avant-gardiste. La chanteuse, pianiste et harpiste n’a pas peur de sortir des sentiers battus. Parfois déroutante, parfois sécurisante, elle sait nous guider de façon habile entre des sonorités surprenantes et des mélodies qui nous bercent.
Elle s’est toujours distinguée par sa voix particulière qui peut se comparer entre autres à celle de Bjork: une voix qui semble parfois un peu maladroite, mais qui est bien contrôlée et qui alterne entre une belle fragilité et une puissance tranchante. En 2009, elle a dû arrêter complètement de parler et de chanter pendant deux semaines à cause d’un trouble des cordes vocales. Sa réhabilitation aurait changé définitivement son timbre de voix.
En effet, avec la sortie de Divers, qui a eu lieu le 23 octobre dernier, la chanteuse de 33 ans dévoile une voix plus mature, qui a plus de coffre et qui semble plus assurée. Ça coïncide d’ailleurs avec la direction que prend l’œuvre de Newsom sur son nouvel album. On y découvre des pièces plus chargées, une instrumentation plus variée et des arrangements beaucoup plus ambitieux que ce à quoi elle nous avait habitués sur ses albums précédents. Elle et son coréalisateur Noah Georgeson ont d’ailleurs travaillé avec plusieurs arrangeurs pour les différentes chansons de l’album. Parmi ces arrangeurs, on retrouve Nico Muhly, qui a travaillé entre autres avec Bjork et avec Grizzly Bear (pour leur excellent album Veckatimest).
Avec Divers, on a affaire à des pièces plutôt folk qui ont des structures très progressives, un peu comme on pouvait l’entendre au début des années 70. Comme pour les grands classiques du genre, on a droit ici à une instrumentation bien large. On juxtapose des ensembles de cordes, de cuivres et de bois à des lignes de piano ou de harpe bien fignolées. On peut même y entendre du clavicorde, du clavecin électrique et de l’orgue. Je ne peux m’empêcher de saluer le mélange très efficace et subtil des quelques synthétiseurs (mellotron et minimoog) avec les instruments organiques. Le tout se fond à merveille et évoque le style qui a fait le succès de formations telles que Harmonium ou Genesis, auquel on aurait ajouté une saveur contemporaine.
L’album commence avec Anecdotes, une pièce qui a vraisemblablement pour objectif de nous plonger doucement dans le monde de Newsom. Elle débute avec un piano, une harpe et une mélodie vocale accrocheuse et facile à apprivoiser. Puis, les éléments se complexifient progressivement pendant que les bois et les cordes font leur apparition. S’en suivent un peu plus de trois minutes d’immersion dans un univers qui dresse le portrait de Divers. Une fois la table bien mise, Joanna nous fait revenir en terrain connu avec un doux rappel du début de la pièce. Ce voyage de six minutes et demie est une démonstration forte de la capacité de l’ancienne étudiante en composition à créer des tensions qui nous font perdre nos repères et à nous rattraper avec brio.
Je tiens à mentionner l’arrangement des voix dans la deuxième partie de Sapokanikan, (l’un des deux titres qui avaient été dévoilés vers la fin de l’été). Dès la première écoute, leur aplomb et leur montée en intensité m’ont littéralement fait lever le poil sur les bras. D’une certaine façon, ces voix me rappellent l’aspect céleste d’un orgue, comme l’a exploité Hans Zimmer dans la bande originale d’Interstellar.
Leaving the City a un esthétisme vraiment particulier. À un point tel où je me demande si ce choix ne nuit pas un peu à l’efficacité du morceau, qui pourtant est très bien composé. Le problème se remarque surtout dans le refrain, où tout semble soudainement coincé. À mon avis, l’effet est trop subtil pour donner l’impression qu’il est désiré. En fait, le rendu semble négligé. De plus, pourquoi le rythme est-il ralenti dans le deuxième refrain? On dirait que l’ensemble des instruments devient plus confus et on perd significativement la « groove » qu’on retrouvait dans le refrain précédant. Choix esthétique? Peut-être. Cependant, quand on isole le deuxième refrain de Leaving the City, ces deux variables additionnées donnent l’impression qu’on est face à une production un peu « boboche ».
Ceux qui ne souhaitent pas se casser la tête aimeront les titres Goose Eggs et Waltz of the 101st Lightborne. Ce sont deux pièces aux sonorités folk plus standard qui sont assez bien foutues et qui ont des arrangements moins marginaux. C’est d’ailleurs dans ces deux morceaux qu’on pourra entendre les seules lignes de guitare électrique de l’album.
La pièce Divers, comme plusieurs autres chansons du disque, devient de plus en plus intéressante à mesure qu’on l’écoute. Appuyée surtout par le piano, elle progresse lentement et nous garde attentifs jusqu’à sa toute fin, de sorte que ces sept minutes passent en un claquement de doigts.
De façon générale, le nouvel album de Joanna Newsom est superbe. Les textes, qui nous submergent dans différentes atmosphères, ont pour point commun une écriture fine – on sait que Newsom a étudié en écriture créative au Mills College à Oakland. Même si, sur le plan sonore, Divers ne se démarque pas par rapport aux autres disques du genre, il a une belle dynamique et il est composé de façon remarquable. En somme, c’est une œuvre qui vaut la peine d’être écoutée et réécoutée pour découvrir, à chaque fois, de nouveaux trésors cachés.