[SPECTACLE] Tanya Tagaq offre une trame sonore digne de ce nom à Nanook

D’emblée, l’expérience s’annonçait contemplative. Les musiciens plongés dans le noir et la chanteuse, accroupie, laissaient toute la place au film dont le générique d’introduction se terminait au moment où j’arrivais à mon siège du Palais Montcalm. Un guitariste, un violoniste, qui troquait parfois son instrument pour un clavier, ainsi qu’un batteur, c’est tout ce qu’il fallait pour offrir à Tagaq la trame instrumentale qui allait accueillir ses prouesses vocales. Rappelons que l’artiste est lauréate du Polaris pour son album Animism paru en 2014, ainsi que du juno pour l’album aborigène de l’année. Elle a également été invitée par Kronos Quartet à composer une oeuvre qui fera partie de leur projet Fifty for the Future.

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Nanook of the North, 1922

L’écran projette Nanook of the North, un documentaire quasiment centenaire réalisé par Robert Flaherty et couvrant la vie d’un inuk plutôt doué pour la chasse, sur une période d’un an. Tagaq, toute de cuir vêtue sauf pour ses pieds demeurés nus, avec ses chants de gorge traditionnels, offre aux scènes tournées une trame musicale appropriée et tout aussi impressionnante que les images. La performance visuelle des musiciens et de la chanteuse étant en général assez sobre, l’attention peut demeurer où elle compte, soit sur la musique expérimentale et sur les images, ce qui permet de ne fixer que l’écran, hormis le calepin de notes qui sert de support à ma mémoire. Les vocaux parfois plus sobres permettent ceci, contrairement aux chants de gorge, qui captivent aussitôt qu’ils surgissent, laissant l’auditeur se demander s’il est véritablement possible que tous ces sons peuvent sortir de cette demoiselle. La fascination et la surprise sont sans cesse renouvelées.

Il arrivait parfois que l’intensité de la musique et de la performance vocale jurent avec la tranquillité des images de paysages nordiques, mais elles étaient aussi souvent tout à fait justifiées, pour faire partager l’excitation liée à la chasse au morse, que l’on baptise parfois les « tigres du nord » (à ne pas confondre avec le groupe folk rock mexicain des Tigres del Norte). Les vocaux continuent de surprendre et de rappeler des univers audiovisuels aussi divers que les films de David Lynch, les messes sataniques et les balades au zoo au près d’animaux aux tailles aussi variées que les humeurs. Parfois, les chants gutturaux sont doublés d’une trame de chant plus réguliers, que la chanteuse parvient à faire coexister au point qu’ils semblent se superposer. Quant à la musique, elle s’apparente tantôt au métal classique, toujours avec une touche fort expérimentale et hypnotisante.

À un certain point, un jam rock un peu trop frénétique sert de complément sonore à une scène relatant la construction d’un igloo et la pose d’une belle fenêtre de glace translucide dans une de ses parois. Malgré quelques moments moins réussis, on ne pouvait pas imaginer une trame sonore faisant autant honneur au film et à ses merveilleuses images. Les mouvements et les danses de Taqaq s’intensifient par moments et deviennent lascifs alors que son vocal renvoie à l’occasion à Mike Patton, chanteur américain qui s’inspire quant à lui de toutes sortes de traditions vocales, ce qui explique les échos perçus. Lorsque la troupe documentée dans le film se dévêtit pour se blottir l’un contre l’autre dans l’igloo, les loups hurlent et Tagaq en reproduit le son avec une fidélité déconcertante. Ces hurlements présentés en guise de conclusion précèdent de peu l’apparition du générique de fin et d’une ovation debout bien sentie, accompagnée quant à elle d’applaudissements nourris de la foule.

À en croire les discussions dans la salle et le hall à la suite du concert, les gens étaient davantage concentrés sur le film que sur la musique dans leurs commentaires enthousiasmés, signe que le concert était vraiment une trame sonore plus qu’une oeuvre à part entière. Si les groupes musicaux contribuant aux films partagent quelque chose avec les acteurs, les meilleurs sont ceux qui s’effacent derrière leur rôle et laissent toute la place à l’oeuvre globale, la troupe menée par Tagaq a fait du très bon boulot en honorant de la sorte le film de cette trame sonore inédite.