Déjà six ans se sont écoulés depuis que Fred Fortin a « plastré» de nouvelles compositions en solo. Il y a bien eu le corrosif Agnus Dei signé Gros Mené, véhicule créatif permettant à Fortin de nous balancer des pièces plus sales et juvéniles, mais inutile de dire que le successeur de l’excellent Plastrer la Lune était attendu. Il semble d’ailleurs que l’aventure Gros Mené lui a servi d’exutoire parce que Ultramarr, son nouveau disque, fait la belle part aux chansons folk alors que l’auteur du Lac semble avoir abandonné les guitares grinçantes et les riffs bétonnés. Loin d’être un reproche, on se retrouve avec un album plus homogène et mieux ficelé. Homogène oui, mais pas dans la structure des chansons; une des grandes qualités de cet album étant justement sa richesse mélodique.
Fred Fortin a eu l’aide de Joe Grass pour le pedal steel guitar, de Brad et d’Andrew Barr (qui apparaissent sur 5 chansons) pour l’élaboration de ce riche paysage sonore. Quant à lui, Olivier Langevin, collaborateur depuis toujours, empoigne cette fois-ci la basse sur quelques chansons, tâche qui revient habituellement à Fortin. François Lafontaine aux claviers et Sam Joly aux percussions complètent le tableau avec l’aide de Pierre Girard pour la prise de son.
L’album s’ouvre sur la douce Oiseau, fable aviaire fidèle à l’univers spleenétique de Fortin soutenue par l’habile batterie d’Andrew Barr. Dans Douille, le protagoniste qui cherche d’abord ses cigarettes vit dans un univers qui s’effrite entre les murs d’une psychose. La mélodie chantée par Fortin (appuyé par les synthétiseurs) accentue l’inquiétude qui émane d’une telle débarque. 10$, la pièce qui a inspiré la magnifique pochette réalisée par Martin Bureau semble dépeindre un curieux parallèle entre les courses de char et la vie effrénée d’artiste. Il y a ensuite des pièces comme Gratte (superbe solo de guitare de Brad Barr) ou la fabuleuse Tête perdue qui sont de curieuses bêtes mélodiques. Il y a d’ailleurs sur cette dernière un petit côté progressif qui rappelle par moment son album Planter le décor (on pense entre autre à la puissante Châteaubriand). La touche country-folk est toujours présente grâce à l’envoutante Molly et à Tapis Noir, une sympathique ode à la procrastination. Gros coup de cœur aussi pour Grippe, une magnifique pièce au rythme particulier où Fred chante un certain mal de vivre dans un rendu qui rappelle un peu Leloup. Chanson ironique pour notre ancien premier ministre, L’amour Ô Canada est jouissive malgré sa courte durée. C’est un pièce qui porte définitivement la signature de Fortin par sa richesse mélodique. Ultramarr, pièce titre de l’album, apporte un peu de soleil avec son rythme honky-tonk qui illustre la vie d’un couple de garagistes qui attendent impatiemment l’arrivée de la fin de semaine pour s’éclater un peu. Tite dernière, brève chanson écrite pour la série Les beaux malaises évoque des adieux pour conclure cet album magistral.
Quelques écoutes suffisent pour comprendre que Fred Fortin a outrepassé les attentes. Sans renier son style habituel, il réussit à surprendre l’auditeur. Il y a toujours ce voile de fumée qui vient brouiller la frontière entre l’autobiographique et la fiction. Il y a toujours ces progressions d’accords inventives qui soutiennent des textes riches même si l’esprit juvénile d’autrefois fait place à une poésie plus rugueuse et recherchée. Il y a toujours ces tournures de phrases efficaces et d’une triste beauté comme dans Tapis noir: « J’ai un p’tit coeur patché au gaffeur tape loin du tien en hiver » ou Grippe: »Tu seras le fantôme de quelqu’un que t’étais et que t’as mis aux oubliettes ». Et il y a celui qui livre systématiquement des albums de qualité, mais qui atteint avec Ultramarr des sommets inégalés. C’est un disque somptueux et concis qui se dévoile tranquillement et qui a donc un très haut pouvoir de ré-écoute.
Ce sera d’ailleurs intéressant de voir la grille de chansons du spectacle puisqu’on risque d’avoir droit à un concert plus tranquille. Les bonnes candidates ne manquent pas sur les albums précédents… à moins que le principal intéressé en décide autrement?
Des concerts devraient être annoncés pour une tournée cet automne.