Les lecteurs réguliers d’ecoutedonc.ca savent que j’aime beaucoup Antoine Corriveau. Sur Les ombres longues, paru en 2014, il a réussi à imprimer un style qui lui est propre, un espèce de folk-rock plutôt sombre tant dans la musique que dans les textes (qui sont de petits bijoux). La barre était donc très haute pour le successeur des Ombres longues.
Arrive aujourd’hui Cette chose qui cognait au creux de sa poitrine sans vouloir s’arrêter, le troisième album de Corriveau. A-t-il réussi à combler les attentes peut-être trop élevées de votre humble serviteur?
Ça serait un euphémisme.
Cette chose… est un album dans une classe à part. Moins axé sur les guitares que les précédents, riche en arrangements d’instruments à cordes et à vent, aussi lent que langoureux, cet album ne fait pas que s’écouter, il se ressent, il se vit. La première pièce, Rendez-vous, reprend un peu là où on s’était laissés sur Les ombres longues. On reconnaît tout de suite la voix d’Antoine et son regard parfois brutal sur le monde qui l’entoure. Mais aussitôt qu’on embarque dans Les contours clairs, on devient un brin chamboulé. Les émotions suscitées par les magnifiques arrangements de cordes (bravo Marianne Houle), accompagnés de la batterie et des percussions de Stéphane Bergeron ainsi que d’instruments à vent qui ont l’effet d’une chape de plomb sur cette poitrine qui se fait cogner dessus sans cesse, sont difficiles à décrire. On est loin du bonheur que peuvent nous apporter des Avec pas d’casque ou Saratoga. Même les tragédies chantées par les autres semblent banales par rapport à la proposition de Corriveau. Derrière la console, Nicolas Grou a réussi à bien doser le tout, ce qui permet d’amplifier cet effet « chape de plomb » qu’on ressent tout au long de l’album sans jamais tomber dans un malaise qui nous ferait arrêter l’écoute.
Difficile de ne pas fondre en larmes à l’écoute de Deux animaux, où Corriveau se montre plus vulnérable que jamais :
Et tu me demanderas, un jour tu me demanderas si ça marche comme ça
Quand tu ravales tes mots à moitié nue, tu tournes ta langue cette fois à moitié là
Sur combien et comment tu as déjà aimé cette envie de mourir
Je te répondrai que j’ai déjà aimé cette envie de mourir avec toi
On sent Antoine se fissurer en chantant ces mots. On le voit tomber dans ce trou, et on le voit tomber ainsi jusqu’à la dernière chanson, la magistrale Les trous à rats. On y reviendra.
Ça n’empêche pas Corriveau de s’offrir quelques petits moments plus aériens, notamment sur Constellations, où Fanny Bloom (qui a un EP qui porte le même titre…) et Corriveau sont dans les airs plutôt que dans tous ces trous.
Sur Parfaite, Corriveau fait dans le spoken word et insère en trois minutes tant de mots qu’on s’essouffle juste à l’écouter, du moins à la première écoute. Les plus courageux seront récompensés, Parfaite est un magnifique poème essoufflant, certes, mais il vient accélérer ce coeur qui continue de battre malgré tout ce poids qu’il a sur lui.
Juste un peu dure plus de sept minutes, mais ce sont sept minutes qui passent extrêmement rapidement. La chanson résume bien l’ambiance générale de l’album (faut dire que tout y est, même les paroles plus marmonnées que chantées dans les couplets et l’opposition cordes aériennes/vents lourds).
On a encore les yeux humides en écoutant Les hydravions de trop, chanson dépouillée par rapport au reste de l’album. Pas d’orchestrations complexes, pas d’arrangements lourds, juste un piano, un violoncelle, une choriste et Corriveau qui réussit une fois de plus à nous toucher droit au coeur. Comme les trous, les avions reviennent souvent sur cet album, comme quoi on peut se servir de n’importe quoi pour exprimer des hauts et des bas quand on a un peu de talent. Et Corriveau en a énormément.
Antoine nous avait gardé le meilleur pour la fin : Les trous à rats.
Il est déjà trop tard
Tout le monde est déjà mort
Tout a fermé ses portes, tout sauf les trous à rats
Où je vais m’en aller pour descendre encore plus bas
Ben oui, il descend encore. Et encore. Les vents arrangés par Rose Normandin sont comme un coup de grâce : il fait chaud dans les bas-fonds. Et pourtant, après un mur sonore qui vient comme nous réveiller d’un cauchemar, c’est au fond de ce trou que Corriveau semble avoir trouvé la lumière. En effet, la mélodie du dernier droit de cette chanson est remplie de lumière, une lueur d’espoir qu’Antoine exprime en fredonnant doucement. Peut-être qu’il ne fait que lâcher prise, mais c’est pas grave, ça fait du bien.
Après ces 46 minutes passées sous cette chape de plomb qu’est Cette chose…, il arrive quelque chose d’étrange : tout à coup, on apprécie mieux le silence. On prend le temps de décanter, d’analyser ce qui vient de se passer. Corriveau et ses complices ont réussi ici à nous faire vivre des émotions qu’on ressent rarement en écoutant de la musique. C’est difficile à exprimer, mais j’ai vraiment été chamboulé. Les trous à rats me hante, la chanson s’est glissée dans ma tête et y joue sans cesse. Chaque fois que j’entends le fameux mur sonore du milieu de la pièce, j’ai l’impression que toutes les chaînes qui accompagnent ce mal-être (que je vis peut-être vraiment, qui sait?) se brisent et me libèrent.
Cette chose qui cognait au creux de sa poitrine sans vouloir s’arrêter est pour moi, sans contredit, l’album québécois de 2016. Pour ses émotions. Pour les expérimentations. Pour son caractère complètement unique dans notre paysage musical. Quand on sait à quel point 2016 aura été un grand millésime, c’est tout un exploit.
On va s’en rappeler longtemps, de celui-là. Allez vite l’écouter. Et venez avec moi voir Corriveau au Cercle le 27 octobre prochain. J’ai l’impression que ça va être mémorable.
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