On va se le dire tout de suite, j’ai été charmée. Oui, oui, merci, c’est mon meilleur jeu de mot à vie, cessez vos applaudissements, vous me faites rougir.
Non, sérieusement, c’est un petit bijou que les garçons du Charme nous offrent cet automne. Après les quelques tergiversations musicales de ces dernières années, la formation de Québec accouche d’un excellent premier album qui se sert des projets précédents comme d’un terrain solide à l’épanouissement de leur musique. Récit de mon histoire d’amour avec une oeuvre toute en contrastes, en nerfs et en douceur.
Le rideau s’ouvre sur une ligne de guitare toute simple qui compose la mélodie directrice du premier morceau: Rêve de feu pour les jeunes humiliés. Le pizzicato du guitariste Sébastien Delorme est hyper-efficace, insidieux, il nous berce doucement l’oreille avant de nous surprendre avec de puissantes envolées mélodiques. J’ai l’impression d’être dans le wagon du Monstre, j’ai le même thrill qu’au moment où le manège monte lentement la première pente et t’entends les tac tac tac tac tac avant d’être grimpé jusqu’en haut.
Et si j’attends La fin du monde,
Qu’on m’assassine,
Qu’on pose une bombe!
Mon passage préféré commence à deux minutes, c’est le peak de la piste, un solo des mieux ficelés, emmené par une guitare rugissante posée sur une batterie fucking solide. Ça monte, ça monte, puis ça tombe tout d’un coup: on revient à la petite mélodie initiale puis la bass line reprend le flambeau et ça remonte lentement, encore, comme un amant infatigable. Portés par la voix aérienne de Maximilien Nolet, on savoure une délicieuse montagne russe d’intensité. Le rêve se termine et t’as envie de le repartir pour en revivre l’énergie.
Dum dum dum dum duuum…
– La basse de David Philibert
Le chant des sirènes est plus tranquille. Les instruments habillent la prose de Nolet et lui laissent toute la place pour se faire valoir jusqu’au solo instrumental de la fin. C’est une danse jouée entre les cordes; si on écoute bien, on entends la guitare et la basse se répondre et se lancer alternativement des phrases musicales, toujours guidés par le drum impeccable de Daniel Hains-Côté. Belle harmonie de groupe. Puis la voix se retire et, un peu à la manière du premier morceau, la montée est lente vers une fabuleuse explosion instrumentale. Miam!
La force de Fitzcarraldo c’est le mouture de ses ambiances sonores. L’album au complet baigne dans un grand bain de sons en tonalité mineure, en tonalité triste pour parler autrement. C’est un choix artistique que j’approuve par goût personnel mais encore plus lorsque je porte attention aux textes du chanteur. On ressent une certaine angoisse exprimée au-travers de sa prose qui me rejoint particulièrement, rendue vivante par l’utilisation d’images littéraires évocatrices. Ici, un extrait de Rubicon qui peint un paysage d’enfance tachée, de désillusion devant la pauvre réalité du monde. La nihiliste en moi est repue.
Je veux toucher toute la beauté du monde
Les deux pieds dans la fange du réel
Je veux croire en la magie du monde
Dans le noir du noir de ses prunelles
On reconnaît ici que les contrastes ne sont pas présents que dans la construction musicale, ils rehaussent aussi les textes, pour le plus grand plaisir des âme littéraires.
Puis arrive la track qu’on boit comme un espresso, shooter de caféine, codéine, adrénaline: Faux pas nous réveille de la lente lourdeur dans laquelle nous a plongé Rubicon. Ça fesse et ça fait du bien. Coup de fouet après la première moitié de l’album qui est, malgré plusieurs écarts de conduite, somme toute plutôt atmosphérique. C’est aussi la piste la plus courte, trois minutes vingt-neuf parmi des tounes qui durent cinq minutes et demi en moyenne, c’est la longueur dont on a besoin pour apprécier toute la complexité des parties instrumentales. On est donc repartis sur une cavalcade épique de drum high sur le speed accompagné de la complainte grinçante de Delorme.
Le trip se poursuit avec Refus Global. La guitare tricote, tricote des mélodies, mais attention, elles n’ont pas la douceur de l’écharpe donnée en cadeau par votre grand-tante à Noel. Elles ont plutôt le mordant d’un piège-à-ours caché dans les feuilles qui gâche votre shooting photo automnal. OUCH.
Les deux premières minutes nous ré-embarquent dans
un manège d’up and downs doux et agressifs dont Le Charme possède le secret. À ce stade-ci, on pourrait même dire que ça ressemble à leur signature. Ça pète ou ça caresse à coup drum à pétard à mèche. C’est simple, on croirait que Nosferatu lui-même s’est invité au studio du Pantoum pour y glisser sa petite touche personnelle.
La douce L’outre-mer (pour Marie Uguay) nous éloigne de la rive sans bouée de sauvetage et nous recrache sur la grève sans trop de séquelles.
Avec Rêve de feu pour les jeunes humiliés, Faux pas et Refus global, la pièce titre Fitzcarraldo boucle le top quatre de mes meilleurs chansons sur l’album. Le morceau réunit tous les éléments musicaux chéris par le groupe et dispersés à différentes sauces durant tout l’album : lignes de bass-guitar très bien choisies, dissonances à la Bauhaus dans In the flat field, alternances extrêmes de dynamiques. Musicalement complexe et abouti, avec une très belle harmonie entre les membres, c’est un album qui mérite d’être réécouté plusieurs fois afin d’en apprécier les subtilités.
Bravo également à Mélina Kerhoas pour la superbe illustration de pochette et à Guillaume Leaim pour l’élégance du graphisme final.
Méchant bon album. Bonne écoute!
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