« Une âme crisse, faites pas les difficiles. En avez-vous rencontré beaucoup des âmes ces derniers jours ? ».
C’est à Pierre Foglia que l’on devrait ces propos, lui qui se demandait sans doute comment ça pouvait bien se faire qu’un auteur-compositeur-interprète aussi monumental que Fred Fortin soit à ce point boudé du grand public.
Si la question se posait à l’époque où Foglia écrivait ces mots – Fortin n’était-il pas, pourtant, l’Ô combien digne héritier des Leclerc, Vigneault et autres héros de la poésie chantée qui faisait jadis la fierté d’un Québec en proie à une certaine soif identitaire ? – il faut croire, au vu du triomphe auquel il a eu droit à l’Impérial samedi soir, que cette époque est révolue.
Il m’a semblé que l’on reconnaissait enfin le génie de Fortin et qu’on était bien décidé à lui faire sentir.
Bien que l’ancien théâtre ait mis du temps à se remplir, Fred et ses acolytes se sont bien produits devant une salle comble d’un public qui en aurait redemandé jusqu’au lendemain.
Sans grande surprise, la troupe fortinesque a débuté avec la magnifique « Oiseau », première pièce du dernier album de Fortin, sous un éclairage incertain qui laissait place à des images projetées en arrière-plan de la scène. Une entrée en matière bien choisie qui allait servir d’avertissement au public : pas question de faire de la folk ici ! Ceux qui auront perçu cet album comme le moins lourd de la carrière de Fortin se seront bien fourvoyés. Cette première chanson, livrée au son tonitruant des guitares électriques et du jeu de batterie fort efficace de Sam Joly annonçait que la soirée allait être au rock.
S’en est suivi la très excellente « 10$ » qui, aurait-on pût croire, allait sans doute être un peu moins nourrie que sur l’album, compte tenu de l’absence des frères Barr. Mais il faut se rappeler que Fortin est accompagné sur scène de deux véritables guerriers de la guitare à savoir son fidèle acolyte Olivier Langevin et le très excellent Jocelyn Tellier (les deux maniant la basse à tour de rôle lorsque Fortin assure la guitare), de quoi nous faire oublier l’absence de ces deux frangins qui, mentionnons-le, ont fait un travail tout à fait remarquable avec les chansons de Fortin.
Le groupe a enchaîné avec « Douille » puis, une « Madame Rose » qui m’aura fait remarquer que le public, chantant de bon cœur le refrain, n’était pas si ignorant de la musique de Fred d’avant Ultramarr. J’ai toutefois été quelque peu agacé par l’inattention de celui-ci (du public) alors que les premiers accords de « Plastrer la lune » se sont fait entendre. Je me suis même permis de rappeler à certaines qu’il y avait un excellent spectacle à écouter devant et que le récit de leur week-end pouvait sans doute attendre. Qu’à cela ne tienne, j’ai tout de même pu fermer les yeux et m’immerger dans le récit psychédélique que livre cette fabuleuse chanson. « Gratte » nous a ensuite annoncé l’hiver avant le temps avant que la dansante « Tapis noir » nous fasse nous réchauffer un petit peu.
Puis, se sont fait entendre les premiers accords de ce que je considère comme le meilleur morceau d’Ultramarr, l’une des plus grandes chansons de Fortin jusqu’à maintenant et l’une des plus belles chansons d’amour à avoir été écrite au Québec ces dernières années, à savoir « Molly ». Difficile de ne pas apprécier la façon dont Fortin est parvenu à manier un champ lexical résolument country tout en écrivant une chanson qui n’a absolument rien de kitsch. Ou plutôt, si kitsch il y a, celui-ci est dosé d’une si belle façon qu’on ne peut faire autrement que vouloir s’y prélasser, s’y enrouler, comme on s’enroule dans une couverture de loup en « minou ». Bref, cette chanson est réconfortante, romantique et empreinte de cette nostalgie qu’on voue à une flamme de jeunesse qu’on peine à oublier (« il y a si longtemps que t’es toujours aussi belle … »). Fred sait-il qu’il nous fait pleurer ?
Question de nous faire revenir sur terre, « Tête perdue » et « Grippe » ont précédé la classique « Ti-chien aveugle » tout droit tirée de Planter le décor qui, je dois dire, se fondait à merveille dans la saveur plutôt psychédélique du spectacle. C’est la très excellente « Scotch » (cette chanson détermine toujours mes choix de breuvages !) qui serait venue clore cette soirée, si, bien entendu, le public n’en avait pas demandé davantage.
À la grande surprise de tous, Fred est revenu seul sur scène pour nous chanter « Chaouin », une chanson tirée des boules à mites (ou plutôt, du Plancher des vaches), mais qui est sans doute passée à la légende depuis que Fred l’eut chanté à nul autre que Dédé Fortin.
J’ai dit tout à l’heure que Fred avait à son compte l’une des plus belles chansons d’amour, mais je corrige : il en a au moins deux ! Olivier Langevin l’a rejoint pour jouer « Mélane », chanson triste s’il en est, mais pour laquelle le public s’est (enfin) fait silencieux et attentif.
Puis, pour nous rappeler qu’« y’a toujours de la tiraille à recracher dans l’assiette » la très pesante « Chateaubriand » s’est fait entendre, annonçant par le fait même deux titres tirés d’Agnus Dei, le dernier album de Gros Mené, à savoir « Vénus » et « L’amour est dans l’ROCK ». C’est le cas de le dire : y’avait de l’amour et y’avait du rock. Fortin nous a même rappelé que lui aussi était capable de nous envoyer des solos de guitare par la figure.
Voyant que le public en redemandait encore et cherchant visiblement quelque chose de pas trop compliqué à jouer – je pense que Fred et sa troupe avait pas mal atteint le bout de son répertoire du moment ! – Fred, amusé, a entamé « Le cinéma des vieux garçons », ce qui nous a valu une performance vocale (tout à fait oubliable) de Jocelyn Tellier.
La soirée s’est terminée par un tête à tête entre Fortin et le-loin-d’être-le-dernier-ou-le-moindre François Lafontaine qui nous ont chanté « Ultramarr » en chœur avec un public ravi.
Une très belle soirée et un excellent show qui nous auront rappelé que le Québec compte encore quelques perles musicales.
Jérôme St-Kant aura ouvert la soirée d’une belle façon en nous présentant ses chansons humoristiques. Si le personnage peut sembler, au premier abord, un peu difficile à cerner, il n’aura fallu que quelques chansons pour nous accrocher à ses textes intéressants, quoique par moment un peu crus, et à son humour marqué.