Présenter en concert un album aussi riche en arrangements et aussi fourni en musiciens que Cette chose qui cognait au creux de sa poitrine sans vouloir s’arrêter peut s’avérer un exercice casse-gueule, surtout la première fois. Or, Antoine Corriveau entouré d’un solide trio de musiciens a démontré à quel point ses nouvelles chansons, même légèrement dévêtues, conservent toute leur âme et leur charge émotive. Corriveau avait l’air franchement heureux de commencer cette tournée et la foule, très attentive, quoiqu’éparse (où étiez-vous gens de Québec?), a eu la chance inouïe d’assister aux premiers balbutiements du spectacle et donc d’observer des musiciens en danger, mais en pleine possession de leurs moyens.
La performance a débuté avec Rendez-Vous, une pièce magnifique où les violons, comme sur plusieurs morceaux, ont fait place aux lignes de clavier chirurgicales de Marianne Houle. Celle qu’on a pu voir derrière le violoncelle avec le groupe Monogrenade a été la femme à tout faire de la soirée passant des bidouillages divers, aux claviers, au violoncelle, tout en ajoutant sa voix avec parcimonie sur plusieurs chansons. La chanson Deux animaux interprétée après Contours clairs a confirmé que l’album ne nous serait pas servi en ordre, un bon moyen de surprendre l’auditeur. Le rythme entêtant de cette pièce évoquant Blonde Redhead, époque Misery is a butterfly, se transpose à merveille en concert. Si l’épique Juste un peu a contribué à hérisser davantage le poil sur nos bras, Constellations souffre un peu de l’absence malheureuse, quoique tout à fait compréhensible, de Fanny Bloom. Une grosse partie de l’âme de cette chanson résidant dans cet échange entre la voix imposante de Corriveau et celle plus lumineuse de Bloom, on suppose que Marianne, qui a une superbe voix, préfère ne pas chanter la section féminine de cette chanson. Parfaite, cette courte pièce poétique plus parlée que chantée, se transpose quant à elle à merveille en spectacle; la montée dramatique y étant encore plus efficace en concert… un moment fort.
Quelques « succès souvenirs » ont aussi fait leur chemin dans la liste de pièces du concert dont Tu es comme la nuit, Noyer le poisson et La Tête en marche particulièrement pertinente dans l’univers sombre et puissant de Cette chose qui cognait… Gros coup de coeur pour l’interprétation bouleversante des Hydravions de trop, pièce mélancolique, s’il en est une, qui était aussi la plus dépouillée au programme. Antoine Corriveau a terminé son tour d’horizon du nouvel album avec deux pièces parmi les plus fortes de sa discographie: Les trous à rats et l’énergique Croix blanche, toutes deux diablement efficaces malgré l’absence de tous ces violons qui semblaient essentiels; l’apport mélodique de tout le monde sur scène comblant le vide laissé par l’absence de la vingtaine de musiciens sur l’album. Corriveau est ensuite revenu sur scène interpréter deux chansons en solo dont une pièce inédite malheureusement écartée du nouveau disque s’intitulant Deux femmes, douce ballade guitare/voix/harmonica qu’on entendra peut-être sur une parution future. Ce dernier a d’ailleurs remercié sa maison de disque, les très locaux Coyote Records de lui avoir permis d’avoir un titre si long! On peut imaginer Fiona Apple avoir des discussions similaires avec sa maison de disque!
Il est impossible d’ailleurs de passer sous silence l’incroyable contribution de Stéphane Bergeron à la batterie. Il avait bien sûr un rôle important au sein de Karkwa et il suit Corriveau depuis un certain temps déjà, mais placé directement à sa droite sur scène, l’ampleur de son talent irradie littéralement, tant son jeu empreint de subtilités et de petites variations apportent beaucoup aux compositions touffues d’Antoine Corriveau.
En première partie, Simon Paradis a présenté les pièces de son album L’issue du soir. Il a entrepris son spectacle avec la très « beatlesque » Express de minuit pour ensuite enchaîner des morceaux comme Appartement et Corbeau. Il a présenté le tout en mode solo-piano à l’exception de 2 pièces à la guitare accompagnées par la musicienne Jane Ehrhardt au piano, dont l’efficace Jupiter. Si les mélodies sont fortes et accrocheuses, on sentait la nervosité dans la voix de Paradis qui manquait parfois d’aplomb devant la foule attentive.
Photographies: Marion Desjardins/ Llamaryon