ENTREVUE ANTOINE CORRIVEAU

Antoine Corriveau – Cette chose qui cognait au creux de sa poitrine sans vouloir s’arrêter (Coyote Records)

L’automne passé, Antoine Corriveau nous livrait l’album Cette chose qui cognait au creux de sa poitrine sans vouloir s’arrêter, qui du reste s’est hissé dans plusieurs palmarès des meilleurs albums de 2016. Malgré la saison estivale des pintes sur les terrasses, ce disque mélancolique reste efficace et plonge encore son auditeur dans un état de recueillement. Intense sur scène, Antoine Corriveau foulera plusieurs planches cet été, notamment celles de la Chapelle des petites Franciscaines de Marie le 20 juillet prochain lors du Festif! de Baie-Saint-Paul. Le set up annonce un moment intime et profond à l’intérieur d’une ambiance survoltée. Les habitués du Festif! savent de quoi je parle.

En lice pour le Music Polaris Prize, L’auteur-compositeur-interprète m’a lancé un coup de fil pendant lequel nous avons épluché quelques aspects de son dernier opus. Antoine s’est également prêté au jeu du quiz musical avec générosité, ce qui risque de plaire aux curieux.

La musique

Antoine Corriveau – Photo : Jacques Boivin

C’est dans l’idée de faire les choses autrement qu’Antoine Corriveau s’est engagé dans un processus créatif qui l’aura mené vers ce qui deviendra son troisième album en carrière. En collaboration avec Nicolas Grou à la réalisation, Stéphane Bergeron à la batterie, Marianne Houle aux arrangements de cordes et Rose Normandin aux arrangements de cuivres, Corriveau a réalisé son désir de se libérer du carcan musical folk où la guitare prime pour laisser la chance aux autres instruments d’asseoir leurs lignes mélodiques sur les chansons. C’est à partir d’ébauches de pièces composées à la guitare que les 5 musiciens ont plaqué des mélodies qu’ils ont cherché à développer le plus possible : « Au niveau de la musique, on l’a fait beaucoup à cinq. On est parti des versions de mes maquettes de chanson. Une fois qu’on avait enregistré les progressions d’accords, les voix pis le groove, ben on enlevait , si tu veux, les instruments rythmiques comme la guitare et le piano pour voir un peu quel autre genre de mood on pouvait donner. Tout le monde tirait un peu la couverte de son bord. Quand c’était pas les brass, c’était les cordes, c’était le piano, c’était la guitare. Tout le monde a de grosses parts mélodiques dans chaque chanson. On a vraiment construit l’album de façon à ce que tout ça puisse cohabiter. Ça fait en sorte que chaque part a sa place dans le mix et que personne ne se pile dessus et que ça sonne aéré. Au final, c’est un résultat quand même chargé avec les cordes, les brass, mais ça demeure simple».

La période qui précède l’enregistrement a également eu son rôle à jouer dans l’aboutissement des mélodies imposantes de l’album. C’est d’ailleurs lors de la semaine de pré-production que la magie a opéré entre les musiciens: « Ce qui a peut être influencé les arrangements et la production c’est la semaine de pré-prod au début du processus. Pendant 6 jours, on a juste défriché les chansons, fait le tour pour voir comment on pouvait les arranger, vers quelle direction on les apporte. C’est là que la synergie de groupe a comme buildé la base des chansons ». Afin de recréer cet espace temps créatif, Corriveau et ses acolytes se sont réunis quelques jours au studio à la fin du processus d’enregistrement : « Quand on a enregistré l’ensemble à corde, on a dû le faire dans un plus grand studio. On s’est pris, vers la fin de la production, un trois jours de plus comme pour boucler la boucle. On voulait finir l’album comme on l’avait commencé avec la pré-prod avec Stéphane, Marianne et Nicolas. On se disait que tout était là dans les chansons et on se demandait comment on pouvait les fucker up! Qu’est-ce qu’on pouvait ajouter? On voulait s’amuser et essayer des affaires. C’est ce qui explique aussi l’esprit collaboratif derrière le disque».

Les textes

Antoine Corriveau / Photos: Marion Desjardins

Dans les Ombres longues, son album précédent,  Antoine Corriveau jonglait entre les thèmes de la rupture et du Printemps érable de manière à laisser à l’auditeur le loisir d’interpréter le sens des textes comme il le voulait. Or, les propos du dernier album seraient plus explicites selon l’artiste puisqu’ils sont tirés de sa réalité. Corriveau s’explique : « J’ai l’impression que l’écriture de ce disque-là est plus claire et plus limpide de ce que j’aurais pu écrire dans le passé parce que c’est très collé quand même sur moi. Mais à la base, je suis parti du thème – en fait j’avais lu des articles sur le tourisme macabre. C’est des gens qui vont visiter Tchernobyl, Auschwitz. Cette fascination pour la mort, les trucs un peu dark… On a tous un peu une partie de nous un peu voyeur. C’est présent dans le psyché humain, l’intérêt de toujours un peu pousser les limites, voir à quoi ça se ressemble un peu plus loin. Mais tsé, jusqu’où tu vas avant que ce soit trop loin?»

Antoine Corriveau / Photos: Marion Desjardins

Antoine raconte également qu’il devait s’approprier ces imageries macabres afin de pouvoir écrire ces chansons et leur insuffler un aspect plus personnel. Ainsi, l’histoire derrière la 8e chanson de l’album, Musique pour la danse, est tirée d’une véritable expérience vécue à Cuba avec un ami où des femmes issues d’un contexte social défavorable courtisaient les voyageurs pour un peu d’argent: « C’est un voyage que j’ai fait à Santiago de Cuba. J’étais avec un ami, on était deux gars dans la trentaine et on se faisait constamment harceler par les filles pour du sexe. Pis chaque soir, quand on se couchait, on entendait la musique live des bars jusqu’aux petites heures. Je trouvais le contraste frappant entre les situations vraiment tristes qu’on avait vécues avec des filles qui sont un peu désespérées et la musique cubaine super joyeuse. C’est ce que j’essayais d’illustrer dans cette chanson».

Entre l’ombre et la lumière

Antoine Corriveau / Photos: Marion Desjardins

Une fois l’album terminé, Antoine Corriveau avoue qu’il s’est écoulé quelque temps avant de pouvoir assimiler ce qu’il venait de produire : « Ça m’a pris quelques écoutes avant de catcher ce qui se dégage comme feeling d’ensemble. J’ai le sentiment que c’est peut être un disque qui est quand même chargé, qui ne se digère pas facilement. Mais en même temps, c’est un disque qu’on a fait sans trop se poser de questions, en suivant notre instinct». Par ailleurs, Antoine Corriveau se questionne sur la nécessité de souligner systématiquement les côtés sombre et mélancolique de son oeuvre: « Le trois quart de la musique anglo-saxonne est comme ça. Tout le monde trippe justement sur Nick Cave, Radiohead, PJ Harvey. Ces bands là vont venir à Montréal et remplir de grosses salles et personne ne se pose de question. J’ai l’impression que c’est un peu à cause que les textes sont en français et qu’au Québec on accorde peut-être une plus grande importance à ça que quand on écoute de la musique d’ailleurs». L’artiste souhaiterait qu’on ne lui appose pas l’étiquette du «prince des ténèbres», car bien que les textes soient plus sombres que l’album précédent, il demeure que la musique est davantage touffue et éclatée: «Dans le choix de l’orchestre à corde et des brass un peu flamboyants, c’est sur qu’il y a un côté tragique grec, c’est intense! En même temps, on écoute ça pis on trippe. C’est justement un trip de faire ça après le disque précédent qui était plus dans le folk pis dans le rock. Je sens que je fais autre chose et c’est ça qui fait que je suis excité ». Pour Antoine Corriveau, l’intérêt de faire de la musique est justement d’évoluer et de mélanger des références musicales différentes pour aboutir à un résultat qu’il n’a jamais entendu auparavant : «C’est une ambition que j’ai pour tous mes disques; d’essayer de nouvelles affaires. Je pense qu’un jour je ferais un disque dansant pis pour moi, ça va être normal».

Le quiz musical

Vinyle, CD ou Streaming?

Vinyle. Parce que je suis attaché à l’objet, mais surtout au principe d’album. J’aime les albums qui sont des touts et tant qu’à rester stické sur un support physique, je préfère celui qui a la meilleure qualité audio. J’aime aussi que le Artwork soit gros. J’aime le côté tangible du vinyle qui vient avec l’obligation de tourner le disque de bord. T’as pas le choix d’être dans le moment présent et te concentrer sur la musique, sur l’album.

Tes trois albums cultes?

Attends un peu, je vais aller devant mes vinyles, ça va m’aider un peu! Déjà je te dirais Bringin It All Back Home de Bob Dylan. Ça c’est pas mal mon album d’île déserte. Je pense que je dirais Le Dôme de Jean Leloup. Je vais te dire aussi Roots de Curtis Mayfield.

Qu’est-ce que tu écoutes quand tu te déplaces, que t’es en mouvement?

Honnêtement, j’aime écouter de tout parce que j’écoute beaucoup de musique quand je suis en mouvement justement. J’aime beaucoup écouter la musique avec des headphones. Donc quand je marche, j’écoute beaucoup de musique. Je suis beaucoup le mood et c’est vraiment trippant pour moi de mettre de la musique dans le char, parce que j’aime choisir la musique qui va fitter avec la route sur laquelle on est et le moment dans lequel on est. Par exemple, quand on est en tournée et qu’on a dormi deux heures, que tout le monde est poqué, je sais que c’est la toune The Greatest de Cat Power qui doit jouer. Ensuite j’enchaîne avec d’autre pièces. J’aime le concept de playlist que je choisis. Je suis pas du genre à me mettre sur random et accepter ce qu’on me donne.

Qu’est-ce que tu écoutes quand t’es dans le mood for love?

Le mood for love… J’aime ben la musique instrumentale. Sinon, un de mes classiques lover c’est Blue Hawaii Elvis.

Quelle musique te fait grincer des dents?

Ben des affaires, honnêtement! Je trouve quand même qu’il y a beaucoup de marde qui sort. J’ai de la misère avec Nicolas Ciccone. J’ai ben de la misère. La surenchère vocale quand l’émotion passe pas et que t’essaies juste d’éblouir avec tes capacités vocales. Je décroche dans ce temps là.

Quelle serait ta musique de prédilection pour tes funérailles?

Bob Dylan. C’est pas mal celui qui revient tout le temps.