Entrevue – Medora : Ï ou « quelque chose qui grondait à l’intérieur »

Après les maxis Ressac (2014) et Les arômes (2016), Medora lance finalement son premier long jeu : Ï (i tréma). Évoluant dans le milieu depuis maintenant plus de quatre ans, le groupe a tôt fait de laisser tomber l’épithète «Old» qui précédait son nom. Cette première métamorphose était à l’image du processus de définition artistique qui allait suivre au fil des spectacles et des compositions. Avec Ï, le groupe semble cerner véritablement son identité tout en se défaisant de ses étiquettes. On en a parlé avec les quatre musiciens : Vincent Dufour, Charles Côté, Aubert Gendron et Guillaume Gariépy.

 

Composition expérimentale

Selon le groupe, la genèse de Ï a d’abord été l’occasion de tester une nouvelle façon de composer. «V’là un an, en fait, Charles et moi, on est allés à mon chalet dans l’idée de faire un album», nous raconte Vincent, le chanteur. «Ça faisait un ou deux ans qu’on avait accumulé des riffs, des mélodies. On a composé les premiers embryons des pièces… une vingtaine en tout. Après ça, on les a toutes réarrangées en band. » Le gros de la composition s’est produit de cette façon, bien que le processus se soit poursuivi tout au long de l’été.

L’ensemble du groupe y a trouvé son avantage, aux dires des musiciens. «Les Arômes, ça a été composé les quatre ensemble, puis ça menait à des débats, des conflits. Tandis que là [Vincent] apportai[t] une idée, puis on dirait que vu que l’idée était déjà construite, on avait comme moins tendance à la débattre», explique Aubert. «Oui, elle avait son contexte», réplique Vincent. «Ça faisait aussi que les pièces étaient plus solides, je trouve, comparé aux Arômes», a ajouté Guillaume.

Plus solides, mais aussi plus senties et émancipées. Comme si, dans certaines pièces telles que Tsunami, on pouvait entendre «quelque chose qui grondait à l’intérieur», pour reprendre les mots du chanteur. Pourquoi ? «Quand tu as une idée, si tu restes tout seul avec toi‑même [pour composer], tu sais où aller. Pas besoin de la communiquer… Pas besoin de la rationaliser», explique-t-il. Selon lui, cela désentrave le processus de création.

 

Un collage musical méticuleux

Par ces moyens, le groupe en est arrivé à rassembler une multitude de nouveau matériel. La matière première de l’album était là, mais c’était loin d’être terminé. «La rythmique, la basse, tout ça a été changé… Les structures ont bougé», énumère Vincent. Comme un collage musical, les pièces ont été montées et travaillées dans le détail, couche par couche.

Ce qui reste sur le disque a d’ailleurs été sélectionné méticuleusement : «On avait quarante riffs, mais on en a choisi sept là-dedans», précise Charles. «Le Maine, justement, c’était les mélodies de deux tounes qu’on a mises ensemble», ajoute Vincent à titre d’exemple.

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«Je me rappelle que la première fois que j’ai écouté [les maquettes], je me suis dit : shit, l’album est déjà composé», raconte Aubert. «En fait, au début, je ne pensais pas que ça allait changer tant que ça…», ajoute-t-il. «Ça a changé en estie!», rétorque Charles. «Ça, c’est Alex», précise-t-il.

 

Préproduction – Une collaboration qui a porté ses fruits

Le guitariste parle ici d’Alexandre Martel (Anatole, Mauves… a-t-il-vraiment-besoin-de-présentation ?), qui a collaboré avec le groupe à titre de réalisateur. «On s’est dit que ça nous prendrait un réalisateur pour l’album, explique Charles. Parce que je ne suis pas prêt à dire qu’on est des geeks de son et puis parce que… prendre des décisions sur le son d’un album et sur quelle piste est la meilleure, quelles tounes garder ou ne pas garder…»

«On est trop proche des tounes [pour ça]», complète Vincent. Et pour eux, la personne toute désignée s’est imposée rapidement. Ayant travaillé avec Martel pour leur spectacle des Arômes, ils avaient apprécié sa façon franche et directe de travailler. Mais surtout, ajoute Vincent : « Ce qu’Alex sait bien faire ‑ et ça, je pense que c’est la plus grande qualité pour un réalisateur ‑ c’est qu’il comprend où on veut aller. Il nous amène là, alors qu’on ne serait peut‑être pas capables d’y aller par nous‑mêmes parce qu’on est trop proche de nos tounes. Et il essaie toujours de nous amener encore plus loin.» 

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La pièce Les tracas dans les cellules de la tête illustre bien comment les musiciens ont été amenés à sortir de leur zone de confort, à retravailler leur matériel lors de la préproduction. À la blague, le groupe l’aurait transfigurée pour lui donner des airs d’afrobeat. «À ce moment-là, ça se passait tellement qu’Alex ne voulait pas qu’on doute, explique Vincent. Il nous a poussés dans cette direction-là.» Bien que la pièce originale fût déjà montée à ce moment-là, ils ont finalement refait toute la maquette, ce qui donne à la pièce sa saveur actuelle.

 

La question des étiquettes

Photo: Mathieu Rompré
Concept: Joany Paquet

Au-delà même de l’exotique trame de fond des tracas, l’album dans son ensemble revêt des couleurs nouvelles. «Ce que je retiens surtout de i tréma, c’est qu’au final en écoutant l’album tu passes par plusieurs sons différents», conclut le chanteur. «Notre trip, c’était d’avoir la plus grande ouverture… Parce qu’il fallait se redéfinir d’une façon», ajoute-t-il.

En effet, avec Ï, Medora a voulu se défaire d’une étiquette : «C’est tellement facile de chanter en français, d’avoir des guitares électriques et de se faire associer à [d’autres groupes indie-rock franco]», poursuit Vincent. «Les gens t’étiquettent, et c’est facile de rester conservateur. Je pense qu’on l’a été dans nos deux premiers EP parce qu’on n’avait pas la maturité ou l’audace de dépasser ça. Là, en ayant un réalisateur aussi qui nous poussait à aller plus loin, on s’est ouvert.»

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Charles Côté renchérit : «En fait, on écoute tous de la musique très variée. On n’écoute pas rien que de l’indie-rock. Si on a fait une toune afrobeat, c’est parce que j’en écoute, de l’afrobeat. Et Aubert, lui, écoute du jazz… je pense qu’avec cet album‑là, on s’est permis de faire fuck off

 

D’autres fils conducteurs

En se permettant de piger dans d’autres styles, Medora décidait de pencher du côté de l’éclectisme instrumental. Faut-il voir l’album comme un ensemble disparate ? Pas selon Vincent Dufour : «C’est plus le type de composition qui, selon moi, a donné une couleur forte [à l’album]. Et il y a quand même un son Pantoum qui vient ramener ça un peu, là.»

«Il n’y a aucun band au Pantoum qui sonne comme nous, je trouve», proteste Charles. «Non, avoue le chanteur, mais on a enregistré au Pantoum et je trouve que juste ça, ça se transpose [dans notre musique]». On pourrait aussi mentionner l’uniformité donnée par la direction artistique et qui transparaît à l’écoute.

Charles Côté, lui, s’est montré disposé à nous présenter un autre fil conducteur fort de l’album : les textes. Il nous a raconté comment le thème de l’album lui est venu à l’esprit.

 

Plonger dans l’univers d’Ï

Conception graphique: Vincent Dufour Photographies: François Sarazin

«J’ai bien tripé sur La Grande Bellezza, un film italien de Paolo Sorrentino qui est sorti v’là deux, trois ans», raconte Charles. «Dans ce film‑là, selon ma perception du film, il essaie de recenser toutes les formes de beauté possibles. Il passe par l’amour, la jeunesse, la naïveté, l’art, la sculpture, l’architecture, la foi en Dieu, des trucs comme ça. Je trouvais que c’était comme un sujet de base qui était éclatable sur plusieurs autres microthèmes qui gravitent autour de ce thème central là. »

 

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Une rencontre aurait ensuite amené l’auteur à donner un angle particulier à son thème. «Ça a donné la drive de l’album, en fait. Ce n’était pas tant que j’ai écrit l’album sur cette fille‑là. C’était plutôt l’énergie que j’avais à ce moment‑là. C’est ce qu’on sent dans les textes.»

Qu’elles parlent des deux personnages fictifs revenant à plusieurs reprises – Mïra et le narrateur – ou encore d’histoires vécues par le groupe et son entourage, les paroles gravitent ainsi autour des thèmes de l’amour, de l’amitié, de l’obsession. «Il y a aussi beaucoup de références au regard et à la désorientation, au fait d’être un peu étourdi», précise Charles. « Dans une des pièces, le narrateur fait une commotion et il y a comme un rappel de plusieurs phrases qui sont venues avant dans l’album, dans les textes.»

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L’album se déroule en effet comme une longue histoire dont Mïra est le point central. «Je l’ai appelée comme ça parce que je trouvais que ça sonnait bien, mais surtout parce qu’en espagnol, c’est ‘regarder’.» C’est d’ailleurs dans la pièce qui porte son nom que se trouve la clé de compréhension du titre de l’album : Ï (i tréma).

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Medora en entéléchie

«Pour moi, [i tréma] c’est juste le meilleur de ce qu’on a fait depuis le début», conclut Vincent. « Les tounes étaient meilleures, on avait plus de maturité pour les structures des chansons… On a fait un travail de préproduction, ce qui fait qu’à mon avis [i tréma] a la notoriété qu’un premier album doit avoir.»

Constatez-le par vous-même, après Ressac et Les Arômes, c’est réellement un produit peaufiné et travaillé que nous présente le groupe local. Un produit à leur image et qui, en résonnant dans vos oreilles, vous attrapera les tripes et le cœur.

 

Et en spectacle ?

D’ailleurs, vous aurez notamment l’occasion de l’entendre en vrai le 31 août prochain au Cercle. Et ce sous une formule qui, à en croire mon verbatim, risque d’assurer :

EDC : Qu’est‑ce que vous allez faire à partir de votre lancement, partez‑vous en tournée, faites‑vous des shows? 

MEDORA : Oui, pas mal de shows.

EDC : Oui. Puis ça va avoir l’air de quoi en show, c’est‑tu quelque chose qui…

MEDORA : Ah, c’est un grand mystère.

EDC : Vous ne savez pas encore, vous allez voir quand vous allez…

MEDORA : Mais dis, dans l’article : ils nous ont dit que ça allait être incroyable, pyrotechnie assurée, puis on va s’arranger pour qu’il y en ait vraiment au show.

…Attention aux étincelles!

 

– 30 –

Un énorme merci à Tatiana Picard pour la transcription de l’entrevue-mastodonte-casse-tête