Jerusalem in my Heart (+ Ben Shemie et CHIENVOLER) – Le Pantoum, 23 septembre 2017

AVANT-GARDE : Mouvement, groupe littéraire, artistique qui est à la tête des innovations, des progrès et qui souvent rompt avec le passé.

Préface

Juin 1967. Les Beatles révolutionnent l’industrie du disque avec la sortie de leur album concept Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band. Le disque compte aussi nombre d’innovations techniques qui influencent encore les sonorités de groupes actuels. Septembre 1969. Abbey Road et sa célèbre pochette. Sur le disque, on entend Georges Harrison au Moog, un synthétiseur qu’il contribue à populariser. Derrière le groupe mythique, les admirateurs passionnés qui les ont portés et qui leur ont permis de marquer l’histoire. Sans parler de King Crimson, Van der Graaf Generator, Genesis, Harmonium… 1969, 1967, 1967, 1972… Le bon vieux temps, quoi ?

J’ai un secret pour vous. Vous qui êtes passionnés par l’avant-garde d’avant. Il y a encore une avant-garde aujourd’hui, des musiciens impressionnants, des moments magiques où la musique se décloisonne pour trouver un nouveau chemin. C’est ce que le Pantoum a voulu démontrer samedi dernier en présentant une programmation audacieuse pour l’ouverture de sa sixième saison de spectacles. Alors, cessons de nous apitoyer sur la fin d’une époque et prêtons l’oreille à celle qui commence.

Septembre 2017. le Pantoum présente Ben Shemie, CHIENVOLER et Jerusalem In My Heart.

 

Ben Shemie – Photo : Jacques Boivin

Ben Shemie

Devant nous, un homme et ses machines : des amplis entassés près d’une table où l’on retrouve nombre de molettes dont le fonctionnement m’échappe. Jeux complexes de retour de feedback. De cet hybride s’échappe une grappe de sonorités aux couleurs d’une violente vivacité. Les basses obscures jurent avec les fréquences aigües et suraigües qui écorchent l’oreille par leur brillance.

Drone, électro, atmosphérique…appelez ça comme vous voulez. C’est surtout une expérience éprouvante, bouleversante, aux confins de la musique. On cherche à s’accrocher au rythme qui se dessine puis qui envoûte par sa pulsation. On se perd dans la forêt de sons qui ne se suivent pas. Le chanteur de SUUNS réussit ici encore, en projet solo, à faire sortir de la musique une force brute, magnétique comme le regard d’un serpent.

 

Chienvoler – Photo : Jacques Boivin

CHIENVOLER

Après avoir pris une grande bouffée d’air frais dehors, on est prêts pour CHIENVOLER. Ça promet : ils ont tellement d’instruments que la scène déborde dans la moitié de la salle. Les six musiciens s’installent et l’aventure commence…Ce qui suit est indescriptible.

Le groupe semble n’avoir qu’un seul corps – comme une hydre à six têtes et je ne sais combien de bras qui explorent les subtilités d’une même rythmique interne. Les influences qui ressortent du mélange sont aussi diverses que les instruments utilisés (saxophones, clarinette basse, bağlama, synthés – pour ne nommer que ceux-là). C’est plus que du prog, c’est une musique de chimère.

Le Moog (salut Georges Harrison) rappelait le «bon vieux temps» ; le saz faisait voyager au Moyen-Orient ; les mélodies éclatées aux bois faisaient écho aux soli endiablés de Charlie Parker ; un bref épisode a capella, clin d’œil au flamenco ; les rythmes élaborés faisaient honneur à Igor Stravinski. Et ce ne sont que quelques facettes de cet énorme polyèdre qu’il nous a été donné d’entendre.

Le groupe a terminé avec une grande finale bien psychédélique qui nous a amenés au comble de l’extase. Heureux sont ceux qui ont pu assister à la chose, car apparemment les membres du groupe ne peuvent se réunir que rarement. Chapeau bas à Jérémi Roy (Esmerine, Bellflower), Félix Petit (FELP, Oblique, Yokofeu, Bellflower), Gabriel Godbout-Castonguay (Yokofeu), William Côté (Bellflower), Martin Rodriguez (Cabezón) et Alex Dodier (Shpik, Bellflower).

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Jerusalem in my Heart – Photo : Jacques Boivin

Jerusalem In My Heart

Recevoir le projet de Radwan Ghazi Moumneh dans les murs du Pantoum était une sorte de fantasme pour ses deux cofondateurs, Jean-Étienne et Jean-Michel. Accompagné par le projectionniste et cinéaste Charles-André Coderre, le musicien d’origine libanaise nous a présenté un univers où les instruments (en l’occurence le Buzuk) et les techniques vocales arabes rencontrent les synthétiseurs et l’esthétique électronique.

Les spectateurs sont restés captivés du début à la fin. Une expérience enveloppante, intense. Les mélodies élaborées du musicien avaient pour nous occidentaux une dimension presque mystique, qui était amplifiée par les effets sonores. Les projections ne faisaient que nous plonger davantage dans cet univers singulier. Tirées de cinq machines vintage (16mm) et de bobines maniées à la main, elles présentaient des images filmées et développées par Coderre. Même l’air chaud qui sortait des ventilateurs – on fait ce qu’on peut avec les moyens qu’on a – nous transportait dans un ailleurs éloigné.

 

 

Un des meilleurs spectacles du Pantoum

Le pari de l’audace était risqué. De leur côté, les organisateurs ainsi que les musiciens ont assuré : le spectacle était éclaté, de haut calibre et l’ambiance, agréable. Le public, celui qui a fait l’effort de se déplacer pour découvrir (ouf, c’est difficile !), en a vu de toutes les couleurs. Et les absents ? Vous connaissez le proverbe.

Oppressante, métissée ou éclectique, la musique qu’on a goûtée tenait certainement de l’avant-garde. Eh oui, il y a une avant-garde d’aujourd’hui. Une musique de demain. Mais y aura-t-il assez d’oreilles pour l’entendre ? Assez de bras pour la porter vers les sommets de l’histoire ?