Photos : Jacques Boivin
Attention, long préambule.
Cher Jean,
on a passé un temps fou ensemble, toi et moi, au cours de ce dernier quart de siècle. En fait, notre relation date même d’un peu avant, à la fin des années 1980, quand je t’ai vu envahir mon écran de télé en chantant Alger ou Printemps-Été. Mon premier spectacle avec toi, c’était au Spectrum, à l’automne 1989. J’avais 16 ans (HA!) et le spectacle gratuit était commandité par Budweiser. Je m’en souviens parce que j’avais un peu trop bu ce soir-là. Tu m’avais soufflé. L’Amour est sans pitié n’était pas encore sur les tablettes des disquaires, mais tu avais trouvé ton personnage, ton John the Wolf que nous allions aduler pendant toutes ces années.
Je t’ai revu à quelques reprises au Spectrum, sur lequel tu as régné bien avant le Métropolis. Les cheveux platine. Les hauts-de-forme. Les moshpits incroyables et mémorables sur Laura. Les duos avec Mitsou. Avec L’Amour est sans pitié, tu nous as plongés tête première dans les années 1990. T’as tourné un peu partout, puis t’es disparu, pour réapparaître en 1996 avec Le Dôme. Tu savais que t’avais frappé un coup de circuit avec ce disque-là, hein? Vingt ans plus tard, on peut le dire, Le Dôme fait partie des plus grands classiques du rock québécois. On te savait déjà rockeur, mais là, c’est le parolier qui est sorti de l’ombre. Fuck, man. Faire des enfants. La chambre. Pigeon. Le fuckin’ monde est à pleurer. T’as pas perdu de temps, t’as suivi ça tout de suite avec Les fourmis et La vallée des réputations. T’as suivi tout ça de concerts big band jouissifs où t’as fini par tuer Jean Leloup et devenir Jean Leclerc. Tu t’es perdu. On t’a perdu aussi. Ça n’allait pas bien.
Je t’avoue, j’ai décroché un brin. Même avec Mille excuses Milady, je suis demeuré méfiant.
Puis, en 2013, tu t’es tapé une méga-tournée de festivals. T’es venu montrer que t’allais mieux. Sur les Plaines, tu nous a sorti tes plus grosses tounes une après l’autre. Un show tight comme j’ai jamais vu de toi. Ma copine, mes enfants et mon amie (avec qui j’ai usé sa copie du Dôme tellement on l’a écouté ensemble), nous étions contents de retrouver notre grand Leloup.
Quand tu es revenu avec À Paradis City cette année, j’étais ravi d’entendre que tu allais beaucoup mieux. Toujours aussi bon conteur, te voilà maintenant aussi personnel qu’universel. Du moins, c’était ce que je pensais. J’ai acheté tes billets pour tes deux spectacles de l’automne à la minute où ils ont été mis en vente. Tu m’as soufflé à l’Halloween au Capitole. Non seulement t’étais encore tight en sapristi, mais en plus, c’était tellement plaisant de te voir content de faire ce que tu fais le mieux : rendre les gens autour de toi heureux.
Tu peux pas savoir combien j’avais hâte à ce samedi soir. J’attendais de te voir seul avec ta guitare depuis 25 ans. Sais-tu combien c’est long, 25 ans? Une éternité!
Pour ce spectacle au Grand théâtre, je ne pouvais être qu’à un seul endroit : en première rangée. Pour te voir. Te voir regarder tout le monde devant toi, te voir t’émouvoir devant ces 1875 personnes prêtes à se jeter dans le vide avec toi pour ce 474e rappel éternel!
Je t’avoue, j’ai un peu triché. Je suis allé prendre mes photos la veille. T’avais l’air un brin nerveux, vendredi. Je me trompe? Du moins, t’avais chaud, tu t’es empressé d’enlever ta veste après une chanson! En tout cas, samedi, t’étais zen. T’étais heureux. Tu rayonnais en maudit pour un fantôme. Le fantôme de Paradis City, c’est celui qui prend le contrôle du fantôme qui se trouve en chacun de nous. C’est pour ça que tu peux faire ce que tu veux de nous, qu’en quelques giddup, giddup, giddup, près de 2 000 personnes se sont levées pour taper des mains et chanter avec toi.
Tu nous as fait rire en commençant par un trio de chansons mauditement tristes, puis tu nous le fais remarquer. C’est vrai, Jean. Mais t’as vu la désinvolture avec laquelle tu nous les racontes? Cette légèreté avec laquelle tu nous parles de toi, de tes hauts, de tes bas? On ne fait que te suivre dans ces montagnes russes émotionnelles que sont tes chansons! Et à travers tous ces appartés qui viennent jeter une nouvelle lumière toute crue! Beaucoup de paroles ont pris tout leur sens samedi soir.
Tu permets que je parle de deux ou trois autres personnes que toi? Juste pour souligner leur travail. Yves Archambault, de l’atelier Décor Kamikaze, t’a fait un méchant beau crâne. Et ces projections de la firme 4U2C? Aussi magnifiques que discrètes. Voilà. Fallait le dire.
Parce que tout le reste, c’était toi qui te mettais à nu comme jamais auparavant. Toi et ta guitare. Toi qui te montrais plus lucide que jamais. Parce que si avant, nous nous reconnaissions dans tes chansons, samedi soir, c’était ton fantôme qui était dans chacun des couplets. Jamais la fable du dôme ne m’a paru aussi transparente. Jamais Pigeon ne m’a parue aussi actuelle tout en demeurant un peu ta version de Taxman. On sentait ton four crématoire intérieur dans Fashion Victim. Tu t’es même permis une petite lueur d’espoir en interprétant la belle, mais trop peu entendue, Petite fleur, pour ensuite nous faire chanter comme jamais en te lançant dans I Lost My Baby, Johnny Go et Le Dôme. Tu m’as sûrement entendu crier de bonheur quand tu t’es mis à jouer Décadence, n’est-ce pas? C’était pour ça, le clin d’oeil?
Pouvais-tu mieux finir la soirée au rappel qu’avec une Zone zéro qui marque parfaitement la fin, la fois où tu meurs et tu penses que tu vis. T’es reparti comme t’es venu, seul avec ta guitare, sous les applaudissement nourris de 1875 autres fantômes, tous repus.
Tu étais déjà grand, Jean. Ceux qui en sont sortis grandis ce week-end, c’est nous. Merci pour tout.
PS : La prochaine fois que tu chantes Bertha en ma présence, peux-tu regarder quelqu’un d’autre que moi au refrain? Je me sentais un brin pachydermique… 😉
Liste des chansons (12 décembre)
- Petit papillon
- Willie
- Voyageur
- Printemps-été
- Dr. Jeckyll & Mr. Hyde
- Nathalie
- Think About You
- Je joue de la guitare
- Barcelone
- Fashion Victim
- Fourmis
- Bertha
- Voyager
- Le castel impossible
- Les remords du commandant
- Pigeon
- Petite fleur
- I Lost My Baby
- Johnny Go
- Le Dôme
- Décadence
- Recommencer
- Je suis parti
- Flamants roses
1er rappel
- Sang d’encre
- Les bateaux
- Feuille au vent
2e rappel
- Paradis City
- Zone zéro