Tiens, pour célébrer la Saint-Jean-Baptiste (ou la fête nationale, si vous préférez), pourquoi pas dresser une liste de vingt des albums québécois que je préfère? Évidemment, ce sont mes goûts, peut-être que votre liste sera complètement différente. D’ailleurs, pourquoi ne pas en discuter dans les commentaires ci-dessous?
Suite de l’autre côté…
Arcade Fire – The Suburbs (2010)
Le groupe collectif montréalais aura ouvert de nombreuses portes aux artistes québécois partout dans le monde. Karkwa et Malajube n’auraient probablement pas pu tourner aux États-Unis, en chantant en français de surcroît, sans les efforts d’Arcade Fire pour mettre la scène indé montréalaise sur la map. De nombreux critiques auraient plutôt inscrit Funeral ou Neon Bible dans cette liste, mais pour moi, The Suburbs représente le sommet de l’oeuvre d’Arcade Fire jusqu’à maintenant avec un thème universel(lement nord-américain), qui touche tout le monde qui a déjà vécu dans le 450 ou dans le 83 (ou dans n’importe quelle autre banlieue-dortoir). Un album qui se déguste lentement, à plusieurs reprises. Et qui se transpose à merveille sur scène.
Chanson à écouter en boucle : Deep Blue. Chanson en apparence toute douce, toute simple, mais d’une richesse incroyable. Chaque écoute apporte encore aujourd’hui sa découverte. Ma chanson préférée d’Arcade Fire.
https://www.youtube.com/watch?v=cDIRT_NEMxo
Avec pas d’casque – Astronomie (2012)
Mon album préféré de 2012, toutes langues confondues. Pour Astronomie, Stéphane Lafleur et ses complices ne se sont pas contenté d’enregistrer un album à saveur folk. Ils ont repoussé allègrement les limites du genre grâce à des arrangements sublimes, à une instrumentation atmosphérique qui vole haut et à des paroles imagées qui nous font voyager.
Un grand album qu’on écoutera encore dans vingt ans.
Chanson à écouter en boucle : Personnellement, je préfère Talent, une pièce paresseuse, mais lumineuse, qui plane et nous fait planer.
Les colocs – Dehors novembre (1998)
Dernier album des Colocs avant la mort tragique de Dédé Fortin. Avec 16 ans de recul, on comprend tout le mal-être de Fortin, on saisit tous les messages pourtant peu subtils laissés partout sur l’album. Même si à chaque écoute, un malaise subsiste encore, Dehors novembre est l’album le plus abouti des Colocs, et les chansons qu’il renferme devraient passer le test du temps sans aucun problème. La fantastique Belzébuth, une pièce de plus de neuf minutes, ouvre l’album avec une des plus belles histoires jamais endisquées au Québec : une métaphore sur la liberté.
Chanson à écouter en boucle : Le répondeur me donne encore le motton chaque fois que je l’entends. C’est une chanson si triste, si cruellement poignante. La solitude fait mal, surtout lorsqu’on cherche à s’y complaire.
Les cowboys fringants – Break syndical (2002)
Si le premier album officiel était plein de chansons loufoques, Break Syndical est un album fortement engagé qui a touché toute une génération droit au coeur. On s’est reconnus dans En berne. On a tous un membre de notre famille qui est parti dans l’Ouest, comme dans Toune d’automne. On regarde tous les manifs avec un oeil cynique, comme dans La manifestation. Reste encore des chansons drôles, comme Heavy metal et Salut mon Ron! Musicalement, il s’agit d’une belle rencontre entre le trad québécois et l’americana. C’est encore le sommet du groupe.
Chanson à écouter en boucle : Ruelle Laurier. Parce qu’elle vous arrache le coeur.
Daniel Bélanger – Rêver mieux (2001)
Avec Rêver mieux, Daniel Bélanger a montré sa grande polyvalence. On le connaissait surtout pour ses albums de chansons pop teintées de folk, mais à l’arrivée des années 2000, il a ajouté quelques sonorités électroniques pas piquées des vers à sa guitare acoustique et à ses paroles toujours aussi riches et colorées. Chante encore a des airs de pièce trip-hop un brin soul. Le refrain de Dans un spoutnik est prophétique : « Six milliards, six milliards de solitudes, six milliards, ça fait beaucoup. »
Chanson à écouter en boucle : Revivre. Un constat claque-sur-la-gueule. Une chanson coup de pied au derrière. Après tout, que peut-il se produire de pire que rien?
Fred Fortin – Joseph Antoine Frédéric Fortin Perron (1996)
Un album qui n’a jamais connu le succès qu’il mérite. Son plus grand classique, Moisi moé’ssi, a eu plus de succès lorsque l’académicien William Deslauriers l’a repris (en y enlevant tout le coeur que Fortin y met lorsqu’il la chante). C’est pas grave, d’une façon ou d’une autre, Fortin et son complice Olivier Langevin auront cimenté leur place dans le paysage musical québécois pour les années à venir.
Dans cet album, Fortin montre l’étendue de son talent d’auteur-compositeur-interprète et de musicien en passant joyeusement d’un genre à l’autre.
Chanson à écouter en boucle : Moisi moé’ssi est un incontournable. Chantée par Fortin, cette pièce déborde de sincérité. On sent très bien quand il appuie sur certains mots pour passer son message. Une chanson d’amour virile, mais sincère. Toute à l’image de Fortin.
Harmonium – L’Heptade (1976)
Album tout simplement parfait. Pour la richesse de ses arrangements. Pour son instrumentation incroyable, orchestrale. Pour l’harmonie des voix, qui se marient parfaitement à celle, magnifique, de Serge Fiori. Pour les paroles écrites par ce dernier, qui atteignent sur L’Heptade un niveau rarement atteint avant et ensuite.
Un album ambitieux. Probablement le plus ambitieux de l’histoire du rock québécois. Pourtant, cet album montre qu’Harmonium avait tout à fait les moyens de ses ambitions.
Si vous vous demandez encore pourquoi les baby boomers vouent un culte à Serge Fiori, c’est en grande partie à cause de cet album, sorti le jour de la victoire historique du Parti Québécois le 15 novembre 1976.
Chanson à écouter en boucle : J’ai envie de vous répondre platement aucune. Cet album s’écoute n’a de sens que si on l’écoute d’un bout à l’autre. Mais si vous voulez en avoir juste un petit aperçu, écoutez Le premier ciel.
Jean-Pierre Ferland – Jaune (1970)
Notre Sgt. Pepper’s bien à nous. Jaune a révolutionné la chanson québécoise, que ce soit par son modernisme dans l’interprétation ou par les techniques d’enregistrement qui étaient enfin à un niveau équivalent à ce qu’on trouvait ailleurs.
On connaît tous les chansons qui composent cet album magnifique, que ce soit God is an American ou Quand on aime, on a toujours 20 ans.
Jaune est un des rares albums québécois francophones connus à l’extérieur de la francophonie.
Chanson à écouter en boucle : Le petit roi. Une des plus belles chansons jamais écrites sur nos terres. Classique instantané qui vient rejoindre ceux de Leclerc et de Vigneault.
https://www.youtube.com/watch?v=zezSZ7Zpmhw
Jean Leloup – Le dôme (1996)
Si Jaune de Jean-Pierre Ferland est notre Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band, Le dôme est sans contredit notre OK Computer. Le troisième disque de Jean Leloup, que ses fans désespéraient d’entendre, a vraiment marqué l’histoire musicale du Québec. Complètement en accord avec son époque tout en étant avant-gardiste, cet album a pavé la voie à des tas d’artistes pas tout à fait conventionnels.
Un album qui refuse toutes les étiquettes, un album personnel et universel, un classique intemporel.
Chanson à écouter en boucle : Il serait facile de répondre « toutes » tellement elles sont toutes devenues des classiques, mais avouons-le, Le monde est à pleurer est toujours irrésistible.
https://www.youtube.com/watch?v=QnhwExZweac
Lhasa – La llorona (1997)
Difficile de ne pas tomber sous le charme de cette jeune femme emportée bien trop tôt par la maladie. Les musiques étaient fantastiques. Les paroles chantées par Lhasa avaient beau être en espagnol, on avait l’impression de les comprendre tellement elle y mettait de l’intensité. El Desierto frappe droit au coeur.
Un album qui allait permettre aux Québécois de s’ouvrir musicalement sur le monde.
Chanson à écouter en boucle : El Pajaro. J’ai des raisons personnelles de l’adorer, celle-là, mais son rythme changeant, son refrain puissant, sa guitare, son accordéon, tout est magnifique dans cette chanson.
Malajube – Trompe-l’oeil (2006)
Les fans connaissaient la bande à Julien Mineau depuis Le compte complet, paru en 2004, mais le commun des mortels a découvert le groupe avec cette petite bombe indie pop-rock aux accents un peu psychédéliques. Tout à coup, le champ gauche se rapprochait du centre.
L’album a ses faiblesses, Julien Mineau n’a jamais été le meilleur parolier au monde, mais musicalement parlant, on se trouve dans un univers unique au Québec.
L’album est rempli de chansons qui sont déjà devenues des classiques Montréal -40° C, Pâte filo, La monogame, Ton plat favori, Fille à plumes, Étienne d’août…
Chanson à écouter en boucle : St-Fortunat est probablement la chanson qui se prête le mieux aux paroles extrêmement naïves de Mineau. Un requiem OUA-OUAOUARON!
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Mara Tremblay – Les nouvelles lunes (2005)
L’artiste montréalaise avait obtenu d’excellentes critiques pour ses deux premiers albums, Le chihuahua et Papillons. Si le premier était l’album de jeunesse qui tire à bout portant sur toutes les conventions et que le deuxième était l’album des amours déçues, toujours aussi intense mais rempli de tristesse, Les nouvelles lunes était en quelque sorte l’album de la maturité, zen, contemplatif. Le country-trash est devenu country-folk. La hargne a été remplacée par la douceur. La distorsion a fait place à la sobriété.
L’album avait reçu un accueil plutôt favorable à l’époque, mais avec du recul, maudit qu’il a bien vieilli. Tremblay, Langevin et François Lafontaine (!!!), entre autres, ont fait un boulot incroyable à la réalisation.
Chanson à écouter en boucle : J’aurais pu prendre Douce lueur ou Poussières, mais j’ai opté pour Grande est la vie. Une chanson inspirante, un rayon de lumière même quand il fait trop sombre.
Michel Rivard – De Longueuil à Berlin (1980)
Avant de devenir un monstre de la chanson d’ici, Michel Rivard avait un gros penchant pour le country. On peut facilement l’entendre sur les albums de Beau dommage et sur son premier album, Méfiez-vous du grand amour. Le public a donc été surpris d’entendre Rivard laisser tomber le country pour pimenter son folk de sonorités jazz. Pourtant, le résultat est sublime. Le saxophone sur Le beau party est délicieux. Quand il chante Le monde a besoin de magie, on voit le chapiteau, le cirque qui se déroule devant nous.
Surtout, il y a La chanteuse (juillet 1969), une magnifique ballade imagée comme seul Rivard peut le faire. Et La triste histoire de ma virginité. Qui n’est pas si triste que ça, au contraire.
Chanson à écouter en boucle : Le retour de Don Quichotte. Classique des classiques. Écrite en hommage à Claude Jutra. La maladie d’Alzheimer qui commence à frapper et qu’on connaissait encore mal à l’époque.
Ce n’est pas la version de l’album, mais la chanson est toujours aussi belle…
Offenbach – Tabarnac (1974)
Enregistré pendant la tournée du groupe en Europe en même temps que le film du même nom (un flop monumental), Tabarnac montre tout le savoir-faire de la bande à Gerry Boulet pré-Traversion, avant qu’Offenbach ne devienne l’immense groupe d’arena rock qu’il est devenu à la fin des années 1970. Sur Tabarnac, on a droit à un blues-rock progressif solide.
C’est sur cet album qu’on trouve Promenade sur mars, (« l’homme que je suis, quoi qu’il en pense, n’a pas accès, ni de près, ni de loin »), qui est devenu l’un des plus grands classiques de la chanson québécoise. Vous avez sûrement tous entendu la version En fusion, ou la version live au Forum, mais l’originale est sublime (malgré sa fin en queue de poisson). On y trouve aussi Ma patrie est à terre et Québec Rock, que tous les fans d’Offenbach connaissent par coeur. Et L’Hymne à l’amour, en version un peu brouillonne, mais toujours aussi touchante.
Chanson à écouter en boucle : Ether. J’ai un faible pour cette pièce de rock atmosphérique sans compromis. Une des meilleures du groupe.
Patrick Watson – Adventures in Your Own Backyard (2012)
Certains lui préfèrent un des albums précédents de Watson, mais Adventures in Your Own Backyard est mon album préféré de Patrick Watson. Aérien sans être trop planant, orchestral sans être pompeux, lumineux sans être nunuche, cet album est tout simplement fantastique et me donne des frissons chaque fois que je l’écoute.
Un grand album de la part de ce Montréalais.
Chanson à écouter en boucle : Into Giants. Ce duo avec Erika Angell (Thus Owls) respire la joie et le bonheur. C’est beau, c’est bon et c’est touchant.
Paul Piché – L’escalier (1980)
Après le succès incroyable d’À qui appartient le beau temps?, qui a fait connaître Paul Piché comme un redoutable chanteur folk, l’auteur-compositeur-interprète a remis ça avec L’escalier, un album phare et engagé qui n’a toutefois pas obtenu tout le succès mérité, malgré la présence du plus grand classique de Piché. Pourtant, cet album ne manque pas d’excellents moments. La pièce d’ouverture, J’étais ben étonné, est pleine de rage. À côté de toi, toute en douceur, donne un autre point de vue sur la même situation. Une autre combinaison, Un sourire/Avec l’amour, est belle dans sa mélancolie du début et sa grande tristesse de la fin. La pièce titre est le classique que vous connaissez.
Chanson à écouter en boucle : La rue Berri, une chanson folk méconnue, une autre métaphore sur la lutte des petits contre les puissants, qu’affectionnait particulièrement Piché à l’époque avant de devenir le beau bonhomme chanteur de charme de Sur le chemin des incendies.
https://www.youtube.com/watch?v=DVhQkPkKZXA
Plume Latraverse – All Dressed (1978)
J’avoue que j’aurais pu prendre à peu près n’importe quel album de Plume enregistré dans les années 1970 (dont Pommes de route, avec Stephen Faulkner). Mais All Dressed est l’album qui comprend ma chanson préférée de l’oncle Pluplu.
Il n’y a pas ces grands classiques que sont Rideau ou Bobépine, mais c’est avec cet album que j’ai eu mon premier contact avec l’americana et le bluegrass. Juste pour ça, il mérite d’être dans cette liste.
Chanson à écouter en boucle : Les pauvres. Dans cette chanson de dix minutes, tous les préjugés sur les pauvres passent un par un. Le plus triste, c’est qu’ils sont toujours d’actualité.
Richard Desjardins – Tu m’aimes-tu? (1990)
Il roulait sa bosse depuis de nombreuses années, mais il a fallu Tu m’aimes-tu? pour que Richard Desjardins et sa poésie sortent enfin de l’ombre. Et Dieu qu’on a aimé cet album! Encore aujourd’hui, chaque écoute de cet album me donne son lot de frissons.
Sur Tu m’aimes-tu?, Desjardins jongle avec l’amour et l’humour, passant de la chanson au country sans aucun complexe. On apprécie les classiques Tu m’aimes-tu, Le bon gars et … Et j’ai couché dans mon char. Pourtant, ce sont les pièces moins connues qu’on revisite avec le plus grand plaisir.
Chanson à écouter en boucle : Le meilleur exemple de la poésie de Desjardins se trouve dans Va-t’en pas, une pièce d’une telle beauté qu’elle m’arrache une larme à chaque écoute.
Robert Charlebois – Fu Man Chu (1972)
Son album avec Louise Forestier a probablement une plus grande valeur historique et Québec Love contient sûrement un plus grand nombre de classiques, mais Fu Man Chu est à mon humble avis l’album le plus réussi de Charlebois.
Tout d’abord, c’est tout un album de guitares, omniprésentes à tous les degrés de distorsion d’un bout à l’autre de l’album. Il y a aussi la pièce-titre, Fu Man Chu, qui est une oeuvre épique de près de 10 minutes aux arrangements riches et complexes et aux rythmes irrésistibles.
Tout un clin d’oeil à 2001, l’odyssée de l’espace!
Chanson à écouter en boucle : Le mur du son. Pour les guitares, pour la batterie et pour les paroles de Mouffe. Une de ses plus belles.
Les soeurs Boulay – Le poids des confettis (2013)
Ces deux filles-là sont débarquées dans nos vies avec un maxi, puis un album qui a fait fondre nos coeurs. La sobriété des arrangements, la sincérité dans leur jeu, la parfaite harmonie de leurs voix et de leurs instruments.
Leurs chansons sont universelles, mais en même temps, elles ne peuvent venir d’ailleurs que de chez nous. C’est peut-être pour cette raison que cet album de folk-pop s’est démarqué dans un genre qui commence à être surpeuplé.
Certaines pièces sont des cadeaux : Stéphane Lafleur a écrit la ô combien troublante Ôte-moi mon linge et la jolie Ton amour est passé de mode. Mais les filles n’en avaient pas vraiment besoin. Leurs propres compositions sont elles-mêmes magiques. T’es pas game vient titiller l’orgueil d’à peu près tout gars de la ville normalement constitué. Et faites attention, elles peuvent se payer Des shooters de fort sur ton bras!
Un grand album qui met la barre très haute pour ces deux jeunes femmes fort talentueuses.
À écouter en boucle : Où la vague se mêle à la grand route. Ça sent bon la Gaspésie et le Golfe. Les transitions entre les tons sont sublimes.