Avec ses deux premiers EP parus en 2014 (Harfang EP) et en 2015 (Flood), Harfang était un groupe qui se laissait gentiment classer dans la catégorie indie-folk-rock. L’album long Laugh Away The Sun, qui sera lancé à Québec le 26 janvier prochain, présente pour sa part un style beaucoup plus éclaté en accordant une place à des saveurs électro et pop. À l’occasion de la sortie de cet opus, nous avons rencontré quatre membres du groupe: Samuel Wagner (voix, etc.), Alexis Taillon-Pellerin (basse, etc.), Mathieu Rompré (batterie) et David Boulet Tremblay (guitare électrique). Il ne manquait qu’Antoine Angers (guitare acoustique, etc.). Ce fut l’occasion de parler de Laugh Away The Sun, du processus de création derrière ses pièces, mais aussi de faire ressortir les enjeux auxquels un groupe émergeant peut être confronté lors de la réalisation d’un album entièrement autoproduit. Entrevue avec un groupe local qu’on suit – et qu’on a aimé suivre – depuis ses débuts.
Une nouvelle étape pour Harfang
«On a toujours voulu faire un album», avoue Samuel. Or, la réalité actuelle dans le milieu de l’industrie de la musique est telle que, bien souvent, il faut d’abord passer par la réalisation d’un maxi : «Maintenant les groupes sont souvent autoproduits, et faire un EP ça coûte vraiment moins cher, c’est vraiment moins long pis tu te plantes moins. Ça te permet aussi de faire les choses toi-même», explique Alexis.
Presque deux ans après le lancement de Flood et suite à leur apparition au FEQ en 2015 et en 2016, Harfang a gagné en expérience ainsi qu’en visibilité. «On a fait nos dents», énonce David. Pour les membres du groupe, Laugh Away The Sun était donc la suite logique de leur parcours. «L’album, c’est vraiment le début de quelque chose de plus sérieux. Ce n’est pas que nos autres albums n’étaient pas sérieux, mais là c’est une nouvelle étape pour nous», ajoute Alexis.
Faire un album : un parcours difficile mais enrichissant
Selon les membres de Harfang, le processus de création de Laugh Away The Sun s’est étalé sur plus d’un an : «C’est tout ce qu’on a fait de 2016, à part quatre gros shows … et même de la fin de 2015», raconte Mathieu. Pour le groupe, cela aura été somme toute une année difficile pour plusieurs raisons. «On en parle de même ouvertement, mais c’était rough», avoue Alexis, qui concède aussi que le groupe a failli se séparer.
Tout d’abord, la pression de réaliser un album de A à Z dans un délai prescrit pesait chacun des membres, comme l’explique David : «Ce n’est pas la pression que les gens attendent quelque chose, mais la pression que nous on se met, et la pression de réussir dans le deadline qu’on s’est donné, explique-t-il. Quand on s’est tous dit ‘ok, on commence le processus de faire un album’, [Alexis] et Antoine parlaient déjà d’un échéancier. On savait déjà à quelle date il faudrait idéalement le sortir pour le plan communication, le booking et tout ce côté-là. On savait combien de temps on aurait, et combien de temps on passerait dans chaque période de création : la compo, la préprod, l’enregistrement. C’est plus ce côté-là qui a été difficile, plus que le fait qu’il y ait des gens qui attendent un résultat», raconte David.
«On se rendait compte à la fin du processus qu’il y avait des affaires qui ne marchaient pas, ajoute Samuel. Et il fallait que ça marche ! Mais on n’avait pas le choix d’avoir un deadline», concède-t-il. Pourquoi se mettre autant de pression pour rentrer dans les temps, pouvait-on se demander. Alexis anticipe la question : «On voulait sortir cet album-là [dans les délais qu’on s’était donnés] parce que, dans notre situation – 100% indépendants et autoproduits – on ne peut pas se permettre un moment où il ne se passe plus rien. C’est sûr qu’il y a des périodes creuses, ça fait partie de tous les métiers de création : à un moment donné tu n’as pas le choix de t’isoler pis de faire tes choses. Mais dans notre cas, c’est que la remontée après, si elle se fait trop tard, eh bien c’est nous qui allons la subir et on le sait déjà», explique-t-il. Il avoue cependant de pair avec les autres membres que, malgré ces difficultés, ce parcours prend son sens dans sa réalisation : «Ça devient quasiment une drogue de sortir un album, c’est tellement trippant de présenter ce contenu-là qui est notre plus gros projet à tous les cinq.»
Des thèmes sombres et lumineux
Selon Samuel Wagner, le thème majeur de Laugh Away The Sun serait d’ailleurs celui de la dépendance : «C’est le thème qui ressort dans l’album et j’ai l’impression que c’est comme notre amour pour la musique…On est dépendants à la musique, mais c’est difficile et ça peut nous mettre dans le trou financièrement. Mais on n’a pas le choix», avoue-t-il. Dans les pièces à proprement parler, le thème prend des formes changeantes, comme le souligne le chanteur : «Il est exploité tout le long de l’album de façon différente, de façon plus ou moins subtile. Ce n’est pas spécifique à quelque chose : ce n’est pas la dépendance à la drogue ou à l’amour… C’est un peu tout ça en même temps. C’est le fait de ne pas avoir le contrôle de soi-même, de ses démons. De ne pas savoir comment les contrôler et d’être complètement démuni par rapport à ça.»
Tout comme les ivresses et les coups durs d’une dépendance, Laugh Away The Sun joue avec la noirceur et la lumière. Le titre, en ce sens, est évocateur : «‘Laugh away’ c’est une expression qui est quand même légère, mais juste parce qu’on parle du Soleil et de la lumière dans son idée, ça devient lourd. C’est comme un contraste», explique David. «Faire disparaître le Soleil, c’est une image qui exprime une entrée dans quelque chose de plus sombre», énonce Alexis.
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Ainsi, aux côtés de pièces chargées d’intensité comme Pleasure, l’aspect lumineux de l’album – qu’on retrouve notamment sur des pièces comme Fly Away ou Wandering – prend une teinte particulière : «C’est une naïveté qui, pour nous, quand on l’a écrit, cachait quelque chose encore une fois, explique le bassiste. Il n’y a pas un texte [sur l’album] qui est fondamentalement joyeux. Même Lighthouse, qui a un texte d’espoir.», ajoute-t-il.
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Le processus de création : trois lieux, trois périodes
«Il y a quand même trois phases qui se sont opérées dans la création de l’album et on peut les cibler selon l’endroit où on était, raconte Alexis. La première phase remonte à longtemps, c’était dans le sous-sol chez mes parents.» C’est dans cet espace assez restreint qu’auraient été composées Stockholm et Lighthouse. «Et après ça on est arrivés à l’île d’Orléans, poursuit le bassiste. Il y a une autre vibe qui est rentrée – faut dire aussi que c’était l’été – on a fait les bases de Truth, de Fly Away et de [Pleasure]. […] La troisième phase c’est au Pantoum. C’est là qu’on a fini Truth, Pleasure et qu’on a fait Kneel», conclut-il.
Certaines pièces, comme Stockholm, furent le résultat de jams en groupe. D’autres, comme Pleasure, ont une histoire un peu plus anecdotique. «Pleasure moi je me souviens très bien comment ça s’est fait ! Je pense que ça a coloré la tune», s’exprime Samuel. Le groupe travaillait alors dans une grange à l’île d’Orléans, à l’endroit même où on les avait rencontrés pour notre entrevue en juillet 2015. «Ce soir-là, je pense qu’on était tous écœurés, on ne savait plus ce qu’on faisait», poursuit le chanteur. «Il fallait qu’on compose du nouveau stock, on s’était dit qu’on voulait 10 tunes et on en avait comme trois ou quatre de composées, et ça faisait comme trois jams qu’il ne se passait rien», ajoute Mathieu. «Et là j’ai commencé à gosser sur une pédale d’effet, pis je me suis dit ‘bon, c’est la seule affaire qu’on peut faire, sinon on s’en va toute chez nous pis c’est plate’», explique Samuel. «En même temps, nous de notre bord, on travaillait une ligne d’accord», complète Alexis, ce sur quoi David ajoute en riant : «On travaillait sur une tune que tu voulais pas faire !», en s’adressant à Samuel. Alexis reprend : «On travaillait une ligne d’accord, pis Sam travaillait un truc plus dans l’effet et dans le vocal, et finalement, chemin faisant, les trucs se sont mergés.», conclut Alexis.
Selon les membres du groupe, l’histoire de la composition de Pleasure se révèle dans sa musique. «Pleasure il y a quelque chose de violent, il y a beaucoup de détresse là-dedans, et aussi un genre de défoulement. Il y a de l’entêtement dans cette tune-là» explique Samuel. «Et ça ouvre à la fin, comme si on avait réalisé qu’on avait une tune!», s’exclame David.
Laugh Away The Sun : rupture ou continuité ?
Le résultat de l’ensemble du processus de création peut frapper, notamment parce que les nouvelles pièces se distinguent des autres compositions de Harfang. Le simple Stockholm, paru le 13 décembre dernier, laissait même présager un tournant assez radical. «On voulait choquer un peu les gens, honnêtement !», avoue le chanteur. «Avec Stockholm on n’y a pas été avec le dos de la cuillère ! Le changement est plus modéré sur l’ensemble de l’album », poursuit-il. En effet, comme l’explique Mathieu Rompré, cette pièce est selon eux «la plus pop de l’album». Flatline, un autre titre paru en mai 2015, montrait d’ailleurs qu’une certaine continuité serait conservée malgré tout.
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«On faisait un peu la suite de Flood avec Flatline ; c’est une chanson qui est vraiment dans la même vibe, raconte Alexis. Quand on a sorti Stockholm, c’était plus dans la volonté de, disons, faire une rupture avec Flood et de surprendre les gens qui nous connaissent. On présentait en quelque sorte notre direction artistique pour Laugh Away The Sun [avec ces deux simples]».
Rupture et continuité, un autre contraste qui semble donc être exploité dans le style musical de Laugh Away The Sun, comme l’explique Mathieu Rompré : «Il y a des tunes quand même vraiment pop et il y en a d’autres qui sont plus pour les mélomanes crinqués qui veulent écouter de la musique un peu plus compliquée et avec plus de couches», décrit le batteur. En un sens, c’est comme si après Flood le groupe avait voulu explorer les deux extrêmes qu’il cherchait alors à concilier. Dans leur dernier maxi, le groupe avait effectivement simplifié à leur maximum des noyaux musicaux afin de les rendre notamment plus accessibles à l’écoute. Dans Laugh Away The Sun, la dichotomie des pièces a permis au groupe d’exploiter une esthétique plus complexe et chargée, comme l’exprime David : «Les deux premiers [maxis], c’était vraiment cinq personnes qui jouent chacun sa partie. On voulait avoir plus de couches, un arrangement un peu plus étoffé que juste entendre cinq instruments [pour l’album].»
Une réalisation qui concilie acoustique et numérique
Le secret du groupe pour faire tenir ensemble l’indie-folk-rock, l’électro et le pop réside dans leur travail de réalisation de l’album : «Une ligne directrice au niveau de la réalisation, ça a vraiment été de mélanger une esthétique acoustique folk avec parfois une esthétique plus rock, mais aussi de faire un contraste avec des sons, des sonorités vraiment numériques. Il y a des effets qui sont purement numériques sur l’album et on ne s’en cache pas», explique Samuel Wagner, qui a beaucoup travaillé à la réalisation de l’album. Selon lui, le numérique pouvait être utilisé comme un instrument pour ajouter des couleurs aux pièces. «On trouve que le numérique peut de façon artistique amener énormément à des tunes en contrôlant des glitch sonores, ce qui a été fait», complète Alexis. «Il y a des bug sur l’album qui sont littéralement contrôlés, ajoute Samuel. Ça peut me prendre une heure programmer des faux bug.» Au final, ce traitement au numérique a permis de donner aux pièces leur unité : «C’est la colle entre toutes les tunes finalement. Qu’elles soient folk, qu’elles soient plus rock ou qu’elles soient plus électroniques, elles ont toutes cette esthétique-là du numérique qui semble ne plus être contrôlée, mais qui l’est en fait», confirme Samuel.
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Le numérique a aussi été utilisé par le groupe dans le but d’ajouter les couches et la complexité désirées à leur musique : «Musicalement ce n’est pas plus complexe, confirme Samuel. Mais au niveau des textures, au niveau de l’assemblage, ce l’est». Leur volonté était de dépasser les simples lignes musicales jouées chacune par un musicien et identifiables : «Quand t’as peu de pistes et que t’entends cinq musiciens, t’entends cinq lignes. Dans cet album-là, t’entends beaucoup de choses», explique Alexis. «Moi je le voyais un peu comme du collage, ajoute Samuel. On a mis des trucs qui sortent du band, littéralement, et même des fois qui sortent de la tune en quelque sorte.»
Laugh Away The Sun en spectacle : «plus rock que folk»
L’ensemble du traitement numérique et l’idée des glitch sonores seront récupérés dans les performances, aux dires des musiciens qui préparaient leur spectacle lorsqu’on les a rencontrés. «Ça va être exploité dans le show, confirme Samuel. C’est ça qu’on essaye de travailler en ce moment. Même à l’éclairage, au niveau de la mise en scène, cette esthétique-là – numérique, qui bug – va être représentée de plusieurs façons.» Par ailleurs, on a déjà eu un aperçu de la façon dont le groupe pouvait allier glitch sonore et visuel par l’entremise du vidéoclip de Stockholm, réalisé par Antoine Bordeleau.
Depuis trois ou quatre jours, les membres de Harfang planchaient en effet sur leur spectacle à temps plein. «En fait ça a été un laboratoire de trois journées de huit ou dix heures, avec un break pour dîner et c’est tout», précise Mathieu. Apparemment, les résultats sont concluants : «La plus grosse partie est faite, et j’oserais dire que ça s’est bien passé en définitive. C’est-à-dire qu’on n’a jamais travaillé un show comme on l’a fait dans les trois ou quatre derniers jours», énonce Alexis. Ils ont d’ailleurs fait appel à d’autres collaborateurs pour enrichir le tout : Audrey Anne Hamel a contribué à la mise en scène et Kevin Savard, aux éclairages. Résultat, un spectacle indépendant qui serait «quasiment dans les normes du show-business».
Pour ce qui est du ton du spectacle, le bassiste nous assure en outre qu’on aura droit à quelque chose de «plus proche d’un show rock que d’un show folk» avec «clairement plus d’énergie». «Ça va être dynamique comme show», assure Mathieu pour sa part. «Il va y avoir un rythme aussi auquel les gens ne sont probablement pas habitués de notre part, c’est-à-dire un rythme dans le show, ajoute Alexis. C’est un spectacle.»
À venir : Lancements et spectacles
Le lancement à Québec se fera au Cercle en compagnie De la Reine. Ce spectacle marquera le début d’une tournée commune qui comprend aussi le lancement de Harfang à Montréal le 2 février prochain, au Divan Orange. Enthousiastes, les membres du groupe ont hâte de présenter l’ensemble de leur travail et anticipent un résultat favorable. «Moi je prévois que ça soit notre plus grosse année jusqu’à présent», nous disait Mathieu Rompré. On leur souhaite !
Tournée Harfang / De la Reine
- JANVIER
26: Québec (Le Cercle)
27: Trois-Rivières (Le Zénob)
28: Gatineau (Le Petit Chicago)
- FÉVRIER
2: Montréal (Le Divan Orange)
4: St-Casimir (La Taverne)
11: Ste-Anne-des-Monts (Le Malbord)
12: Québec (Showcase RIDEAU)
17: Chicoutimi (Le Sous-Bois)
18: La Malbaie (L’Auberge de jeunesse de la Malbaie)
25: Sherbrooke (La Petite Boîte Noire)
- MARS
5: St-Hyacinthe
- AVRIL
8: Baie-Comeau (L’Ouvre-Boîte Culturel)