J’avais un peu le trac. Une première entrevue en près de 20 ans, et de mémoire, la dernière n’avait pas si bien été. J’étais un peu pressé par la vraie job qui n’est pas toujours compatible avec ma passion. À mon entrée dans le petit resto limoulois où il m’avait donné rendez-vous, Joseph Edgar était là, son chapeau vissé sur la tête. Je vais le rejoindre à l’arrière, dans une petite section tranquille. Franche poignée de main. Le trac est parti tout de suite. Les 20 minutes qui ont suivi m’en ont paru cinq. C’était comme si j’étais avec un vieux chum qui avait plein d’histoires à raconter.
D’entrée de jeu, une question qui me turlupinait : En 2015, est-ce que Joseph Edgar est un Acadien qui vit à Montréal ou un Montréalais originaire d’Acadie? « Un Acadien qui vit à Montréal, certainement! Tu peux sortir le gars de l’Acadie, mais pas l’Acadie du gars! »
La question se pose. Après tout, son plus récent album paru au début de 2014, Gazebo (Ste-4 Musique), parle manifestement de Montréal. Quiconque y a vécu un petit bout reconnaît le parc Molson et son magnifique kiosque (le gazebo en question). D’ailleurs, sur Alors voilà, il nomme carrément l’endroit où il allait chaque matin, café et cigarette, pour observer autour de lui, comme des gens qui vont dans les centres d’achat, qui s’assoient sur un banc, qui observent et qui s’inventent des histoires. « J’avais envie de raconter des histoires un peu à l’extérieur de moi-même… », même si on finit toujours par parler un peu de soi. Comme un carnet d’observations prises pendant sa première année à Montréal.
La discussion porte inévitablement sur Espionne russe, qui a propulsé Joseph Edgar dans les grandes ligues. Parti d’absolument rien (sa demande de subvention avait été refusée), il dessine carrément le clip. Grand succès sur YouTube. Les radios embarquent une par une, même les grosses stations commerciales. Les ventes progressent. Quand je lui demande comment ça va depuis, on le sent heureux de son sort, mais prudent. « Lorsqu’on fait des spectacles, il y a plus de monde. La chanson a piqué leur intérêt pour le reste de l’album. Je remarque que non seulement nous avons plus d’invitations pour aller jouer à différents endroits, mais aussi que les gens connaissent bien le matériel. Ça nous encourage à continuer. »
On décrit souvent Joseph Edgar comme un des porte-étendards de la vague acadienne qui a déferlé ces dernières années. Je profite de l’occasion pour en envoyer une au champ gauche à l’auteur-compositeur-interprète. Le traducteur que je suis a remarqué que Joseph Edgar utilisait un niveau de langue différent pour écrire ses chansons que les Radio Radio, Lisa LeBlanc et autres Hay Babies. Si les gars de Radio Radio utilisent clairement le chiac dans leurs chansons, que Lisa LeBlanc mélange joyeusement le français et l’anglais et que les filles des Hay Babies s’expriment dans un registre plus populaire, de son côté, sur Gazebo, Joseph Edgar soigne son vocabulaire. « Pendant les dix ans où j’étais dans Zéro degré celsius [NDLR : le groupe au sein duquel il a commencé sa carrière], le chiac était un peu plus prononcé, mais mes parents étaient enseignants au secondaire et on m’a toujours encouragé à lire des livres. » Il ajoute qu’il lit beaucoup, mais qu’il n’aime pas se répéter. Il dit qu’avec Zéro degré celcius et sur ses premiers disques solo, les gens ne comprenaient pas toujours ses propos. « Sans perdre mon accent, j’ai voulu me forcer un peu plus du côté de la plume pour être plus universel et rejoindre plus de gens. »
Le deuxième clip tiré de Gazebo, Alors voilà, est aussi un dessin… animé, cette fois-ci. Joseph Edgar a beau avoir entrepris des études en arts visuels (avant de se consacrer à la musique), il n’avait jamais fait d’animation. Je lui fais remarquer qu’en le visionnant, j’ai immédiatement pensé à La Linea, un dessin animé italien qui a marqué tous les enfants des années 1970. Joseph Edgar me répond qu’il s’était fortement inspiré de ce dessin animé, ainsi que de l’esthétique des dessins animés des années 1960 à 1980, comme on pouvait voir dans les midis de l’ONF à l’époque.
Ces expérimentations en dessin auront-elles une influence sur le prochain album? Sera-t-il plus visuel? « J’essaie toujours me me mettre dans différentes situations quand je compose des chansons. Par exemple, pour les troisième et quatrième albums, j’étais tout le temps dehors, au bord de la mer, en Nouvelle-Écosse. Je m’installais, parfois, je parlais aux goélands, mais cette fois-ci, je me suis enfermé seul dans mon studio, comme si c’était une job, je m’installais et je laissais la chanson venir, et je jouais ensuite avec les instruments. » Cet album sera beaucoup plus introspectif, mais l’auteur-compositeur-interprète ajoute qu’il sera très imagé. « Les textes sont influencés par ces dessins. Je réalise que je peins des portraits comme quand j’étais jeune, mais en musique. »
Retour sur Espionne russe (on pose les questions comme elles nous viennent à l’esprit, voyez-vous?). C’est qui, cette fameuse espionne russe? Joseph Edgar m’explique que la chanson est une ode à ces femmes fatales, ces méchantes dans les films de James Bond, qui lui crèvent le coeur et le trahissent, mais qui sont amoureuses de lui. Un triangle amoureux inventé. « Il y a bien des gens qui disent : Quelle belle chanson d’amour, mais ça va pas ben pour les deux gars dans la chanson! »
Nous abordons le spectacle qu’il donnera au Petit Impérial le 17 avril prochain. À quoi s’attendre d’un spectacle de Joseph Edgar? « On tourne depuis près d’un an, mais le spectacle évolue tout le temps. Je pense que le live, c’est l’occasion de faire vivre une chanson, j’aime pas quand ça reste la même affaire. Contrairement à un tableau ou à une chorégraphie, on a la chance de rendre nos chansons uniques chaque fois qu’on les joue. » Il sera accompagné d’Alexandre Pépin, un multi-instrumentiste capable manier la basse et la batterie en même temps, tambourine au pied. S’il commence son spectacle avec une grosse touche de folk, (« chansonnier », ajoute-t-il), Joseph Edgar promet qu’on va voir son côté plus rock… et punk. Il s’amuse avec Pépin, avec qui il joue depuis cinq ans, et c’est une belle complicité que nous avons hâte de voir.
Pour finir sur une note plus légère, je demande à Joseph Edgar ce qu’il écoute ces temps-ci. « Je suis complètement accro au dernier album de Jean Leloup. Leloup, c’est une des raisons pour lesquelles je chante en français. Et j’adore le risque et l’exploration qui se trouve dans le nouveau Marie-Pierre Arthur. » Il collectionne aussi les disques en vinyle et va toutes les semaines faire de l’exploration dans les magasins de disques. Collection démarrée quand un cousin, qui souhaitait attiser la curiosité musicale de Joseph Edgar, lui a donné une table tournante et de nombreux disques. Lorsque je lui demande s’il a des noms acadiens à nous proposer, il s’anime : « Y’a Les hôtesses d’Hilaire qui commencent à faire sentir leur présence au Québec. » Il leur souhaite tout le succès du monde, puis il nous parle de Pascal Lejeune, qui a pris le pseudonyme Thomé Young sur son dernier album. Il nous suggère également de surveiller Joey Robin Haché et Pierre Guitard. « Il y a aussi des groupes qui n’existent plus, mais qui sont des groupes-phares, comme Idée du Nord, qui n’ont malheureusement jamais percé par ici, mais qui ont repoussé les limites de ce que nous pouvions faire. » Il termine en souhaitant que le Festival de jazz invite Les Païens (j’avoue… ils kickent des culs et bottent des derrières – et je les verrais bien à place d’Youville pendant le Festival d’été).
J’aurais pu écouter Joseph Edgar pendant encore une heure ou deux. Nous aurions pu approfondir sur son écriture. Parler de ce deuxième printemps érable qui semble se montrer le bout du nez. Il avait le temps de le faire, c’est moi qui n’en avais plus à ma disposition. Mais bon. Cet homme affable, disponible et généreux venait de se gagner un nouveau fan.
On vous invite à faire comme nous et à venir voir Joseph Edgar au Petit impérial le 17 avril prochain. Ça va être sympa. Vous pouvez également écouter Gazebo (disponible chez tous vos bons disquaires – dont Archambault, bien entendu, ainsi que sur iTunes et Bandcamp) et les albums précédents de Joseph Edgar (sur Bandcamp), voire trouver des pièces de Zéro degré celsius (j’en ai vu passer sur YouTube et en fouillant, on trouve des albums… au pire, demandez à vos amis acadiens). Son répertoire au complet fourmille de trucs intéressants. Et puis vous pouvez regarder en boucle les deux derniers vidéoclips de Joseph Edgar. Du joli travail. À bientôt!