Il y a de ces concerts qui vous marquent pour longtemps et dont les souvenirs vous accompagnent possiblement pour le restant de vos jours et celui que j’ai eu la chance de voir hier soir en fait partie. C’est finalement un peu après 20h30 que la formation tant attendue, qui ne s’était pas encombrée d’un groupe en guise de première partie, a pris la scène sans grande pompe pour donner le coup d’envoi de ce show tout simplement baptisé «Une soirée avec The Brian Jonestown Massacre». Les fans de la première heure du groupe semblaient manifestement déjà comblés lorsqu’Anton et Joel, les deux meneurs, ont pris les devant de la scène, à la suite des cinq autres musiciens qui les auront accompagnés pour l’essentiel de cette épique soirée, également ponctuée par de brèves visites d’autres collaborateurs momentanés.
J’aurais pensé que leur plus récent album album Musique de film imaginé aurait eu droit à plus d’honneurs dans leur imposant set list, qui a couvert leur monumental répertoire en long et en large, outre cet album, pratiquement délaissé, hormis peut-être une pièce instrumentale qui s’y trouve, mais je ne suis plus trop certain de tout ce qui a pu se passer pendant ces trois heures. Il faut dire que l’absence, pour cette tournée, de la chanteuse Soko présente sur la majorité des titres du dit album, n’aidait en rien l’ambition éventuelle de lui faire une place de choix. Les fans du double album rétrospective de TBJM, Tepid Peppermint Wonderland, avaient la majorité du bagage nécessaire pour bien apprécier la soirée, mais même ceux qui n’avaient aucune idée des compositions du groupe avaient de fortes chances d’être ébahis par le généreux concert offert par les californiens d’origine qui roulent leur bosse depuis plus de vingt ans.
Le répertoire psychédélique et majestueux du groupe n’a pas occupé l’entièreté du concert, mais tout de même la majorité, avec quelques titres moins flamboyants concentrés surtout en début de set et faisant honneur à leur brève période résolument plus rock-alternative-des-années-90. Les pièces alternent avec des moments d’ajustements, les musiciens s’accordent ou changent d’instrument alors qu’Anton nous raconte des anecdotes sur le Canada et ses visites, dont il semble avoir gardé des souvenirs mitigés et un certain humour dérisoire. Une de ces histoires contées durant la soirée mettait en vedette le groupe, arrivé à Saskatoon, où une foule clairsemée s’était réunie pour deux raisons, la moitié pour écouter leur concert et l’autre moitié pour sacrer une volée à l’autre moitié. Une certaine défiance envers l’assistance ponctue la majorité de ses interventions, dont une où il explique qu’il fait un concert de trois heures mais qu’aucune demande spéciale ne sera acceptée parce que, d’abord, allez vous faire foutre et ensuite, parce que Spotify prend les demandes spéciales et que lui, c’est pas une machine, c’est un artiste.
De toute façon, ils choisissaient plutôt bien les pièces présentées, et la seule chose qu’on peut reprocher à la soirée est l’abondance de transitions un peu longues entre les pièces, qui venait un peu briser le rythme et empêcher la transe de s’installer véritablement. Les pièces choisies alternent entre le très planant et le très bruyant, Anton martyrise ses guitares pendant que Joel shake inlassablement sa tambourine, parfois troquée pour des maracas, parfois utilisée en tandem avec cette dernière.
Les chansons plus psychédéliques avec de grandes montées faisaient généralement appel à la guitare 12 cordes ou à la mandoline (le banjo de luxe ?). La femme d’Anton Newcombe s’est présentée sur scène pour interpréter Pish avec lui, s’occupant surtout des refrains, avant qu’une autre intermission n’incite Anton à parler du Canada et de s’interroger sur le fait que oui, ou non, on appelait parfois notre pays le Cananananananada. Après une pièce bien efficace, un membre de l’assistance a défié le groupe en réclamant une autre pièce du même album, en guise de demande spéciale, en plus de demander au groupe de se grouiller pendant les transitions, et avant de nous annoncer implicitement qu’il venait d’Ottawa et qu’il aurait voulu que le groupe s’y rende. La riposte d’Anton face à cette requête ne s’est pas fait attendre et allait à peu près comme suit: «hey le casse, tu me vois tu venir à ta job te crier des ordres, moé ? non, ça se fait pas!»
Le spectacle faisait contraster sa simplicité visuelle, alors que seuls quelques éclairages ont complété la musique, et son côté musical hyper chargé. Le groupe nous annonce que le concert est forcé de se terminer à 23h30, ce qui est incompréhensible pour eux comme les bars peuvent fermer à 3h, eux. Il a ensuite expulsé un technicien de scène avant de dire que tout le monde méritait quand même un happy ending pour cette soirée, et d’annoncer qu’il leur restait quelques as dans la manche, avec environ trois pièces toujours sur la liste.
Pour clôturer en beauté cette soirée intense, un membre influent et respecté de la scène rock psychédélique est venu joindre le groupe pour long jam en duo avec Anton d’abord, puis pour la pièce «She’s Gone» avec tout le groupe, qui les a rejoints ensuite. Le musicien en question a d’ailleurs foulé les planches de la salle Multi du complexe Méduse avec un nouveau projet solo qui devrait le voir tourner un peu partout, délaissant son groupe Elephant Stone pour un moment, bien qu’il nous rende visite cet automne. Pour ceux qui n’ont pas déjà deviné, je parle du joueur de sitar Rishi Dhir, compositeur et chanteur au sein de la formation éléphantesque en question. Un long build up finissant dans un mur de son assourdissant a servi d’au revoir entre le groupe et l’assistance, qui n’a pas cru bon demander un rappel lorsque les musiciens, d’abord Anton et Joel, ont quitté la scène, suivis de près par Rishi et les autres musiciens. Les lumières se sont allumées rapidement comme pour faire passer le message encore davantage, mais personne n’aurait pensé réclamer de rappel après un aussi généreux concert, qui semble-t-il, est en voie de devenir leur marque de commerce pour cette tournée. Le groupe qui prend la scène seul pour la majorité des dates se faisait un point d’honneur d’offrir au public quelque chose de substantiel en échange de leurs deniers. On peut affirmer que la soirée valait son pesant d’or et qu’elle a mis la barre haute pour le concert du lendemain alors que je retournais vers le rock psychédélique, gracieuseté cette fois des australiens King Gizzard & The Lizard Wizard.
Comme j’avais oublié mon appareil photo, c’est le collègue Joey Proteau qui a eu l’amabilité de me prêter celle que vous voyez au sommet de cet article.