C’est en une soirée très froide de ce décembre le dix que le navire de Chris Cohen et Andy Shauf s’échoue sur les rives de l’Anti de Québec le temps d’une dernière prestation, celle qui clôt leur longue tournée canadienne.
Comme beaucoup de gens qui connaissent l’artiste de près ou de loin, j’ai été d’abord happée il y a quelques semaines par l’hypnotisante The Magician. Une chanson comme un trousseau de clés, juste assez pop pour aguicher l’oreille d’un grand nombre, juste assez étrange pour susciter la curiosité. Et c’est avec plaisir que l’on ouvre la porte dont Shauf nous tend la poignée. Une invitation à découvrir son univers riche en mélodies captivantes, ses textes d’incertitudes, d’hivers trop longs, d’amours et de solitudes.
La première chose que j’ai fait en franchissant les portes, ce fût d’aller vérifier s’il y avait un étui de violon sur la scène. Il n’y en avait pas. J’ai soupiré; ç’aurait été trop beau. Je ne vois pas de clarinette non plus, tant pis! C’est pourtant la clarinette qui ajoute ses mélodies très distinctives à l’album The Party et The Bearer of Bad News; je vous invite à écouter les versions studio pour les apprécier. Il faut savoir que les chansons composées par le musicien blond l’ont été en forme de one-man band : il a joué presque tous les instruments et enregistré dans un petit studio d’abord chez ses parents en Saskatchewan, puis en Allemagne et enfin à Toronto, tout ça quasiment tout seul. Ç’aurait été trop demander d’avoir des arrangements scéniques complets pour un compositeur qui commence à peine à se faire connaître. Malgré ce dénuement, mes chers mélomanes, je peux vous dire qu’à la fin de cette soirée, j’eu la certitude que la perfection a besoin d’au moins quelques défauts pour briller. Aucun violon, ni même de clarinette, mais une musique qui vibre et qui pleure tout aussi bien.
Il a invité pour l’accompagner en tournée Chris Cohen. Le chanteur et compositeur du Vermont nous introduit à l’ambiance par sa voix posée, aérienne et ses mélodies doucement psychédéliques qui m’ont rappelées le son des albums de Damon Albarn, le compositeur britannique, particulièrement sur l’album The Good, the Bad and the Queen. Accompagné de musiciens tout à fait sur la coche, on se laisse porter. Je complimente l’accrocheuse Caller No.99 et la plus calme mais non moins belle Drink from a Silver Cup. En notre époque de lamentations et de grincements de dents, on a besoin de musique douce qui nous fait oublier, le temps d’une nuit et plus, le désordre ambiant. Mission accomplie.
Chris Cohen se met sur la pointe des pieds pour chanter ses notes aigues. Comme s’il voulait mieux se rapprocher des nuages qui l’ont inspirés.
Andy Shauf arrive sur scène. Tout petit, les cheveux comme un rideau derrière lequel il voudrait bien se cacher, il se penche contre sa guitare comme si c’était une veste pare-balles. Alexander All Alone ouvre le show, c’est l’histoire d’un gars qui s’en va fumer une cigarette dehors et qui tombe raide mort à terre. Comme ça, frette sec. Moi j’ai ris un peu, j’sais pas pour les autres. Ça donne le ton.
On enchaîne avec la très bleue Early to the Party. C’est à partir de là que je me suis ennuyée du violon présent sur la track originale. Mais on oublie rapidement les versions studios quand on contemple la justesse avec laquelle les arrangements ont été faits pour la scène. Simples mais terriblement efficaces, c’est différent. Agréablement différent. La simplicité de l’orchestration nous laisse tout le plaisir d’apprécier le talent indiscutable du jeune musicien pour la composition. Pour être sûr que ses idées originales soient bien adaptées sur scène, il s’est entouré de musiciens d’exception.
Le drummer, particulièrement, porte sur ses épaules la rythmique impeccable du show. Olivier Fairfield qu’il s’appelle, un gars qui joue avec Timber Timbre et FET.NAT. Si vous désirez, gens de Québec, apprécier davantage son drum, je vous conseille de prendre rendez-vous au Pantoum ce prochain samedi le dix-sept. Il propose un rythme très juste, jusque dans les silences, qui sont d’ailleurs excquis puisque le public s’est enfin donné le luxe de se taire et de respecter la voix très douce de Shauf. On se serait cru dans une église. Dans les espaces entre deux beats qui se laissent désirer, à la musique espacée de silences attentifs, où on retient notre souffle jusqu’à la prochaine note. Parce que ce sont dans les silences que l’on mesure la beauté du bruit.
Entre deux tounes, malgré une réputation de petit parleur, j’ai réussi à soutirer un secret bien gardé du chanteur aux longs cheveux blonds.
W h a t k i n d o f s h a m p o o d o y o u u s e ?
O h , P a n t e n e P r o – V d o e s i t f o r m e .
Andy Shauf, ce n’est pas que du bruit, bien qu’un non-anglophone peut y trouver parfaitement son compte avec des mélodies si bien arrangées. Mais Shauf, c’est avant tout une écriture. Parfois, son style me rappelle l’album Still Crazy After All These Years de Paul Simon. Il parle sans censure de toi et moi. De tes peines d’amour et de ma solitude, de tes conneries et de mes joies. Dans Quite Like You, tu te prends à aller consoler cette fille qui verse une larme parce que son crush ne s’intéresse pas à elle comme elle voudrait. To You te rappelle la fois où, un peu saoûl et plus ou moins confiant, tu a avoué ton amour à cet autre qui, en réalité, se foutait de ta gueule. Dans The Worst In You, tu cherches désespérément ta blonde qui a disparue dans une maison remplie de monde pis tu te demandes sérieusement si elle veut juste pus te voir la face.
A r e y o u r u n n i n g a r o u n d o r j u s t r u n n i n g a w a y ?
Sur Eyes of Them All t’as envie de danser comme si absolument personne te regardait, parce que tu t’en crisse et que tu t’habilles et tu fais bien tout ce que tu veux et que c’est très bien comme ça. Jenny Come Home raconte l’histoire d’un gars qui trompe sa blonde et qui finit par le savoir accidentellement, tout ça dans un tone très joyeux, clin d’oeil à l’humour sombre de l’artiste.
A n d w h e n y o u o p e n e d t h e d o o r ,
Y o u s a w a p a i r o f s h o e s y o u n e v e r s e e n b e f o r e .
Okay, Andy Shauf c’est pas Prince. Ce gars habite une scène autrement qu’avec l’intention d’impressioner. Quand tu écris et compose aussi bien, t’as pas besoin de faire un seul move de danse pour agrémenter ta chanson et c’est très bien comme ça. Par ailleurs, j’ai trouvé une superbe harmonie entre les musiciens sur scène. Le bassman, le claviériste et le batteur regardaient souvent le chanteur avec un réel désir de maintenir une communion musicale. Échangeant sourires complices de musiciens qui ont fait longue route et qui ont encore du gros fun à jouer ensemble.
La ballade de Wendell Walker a fermé la scène. Le spectacle a commencé avec une mort subite puis s’est terminé avec un meurtre passionel. Entre les deux, l’amour, la fin du monde, de l’alcool pis des cigarettes. Si c’est tu pas un beau et étrange condensé de la vie, je sais pas ce que c’est.
Andy Shauf, un gars sur qui garder un oeil, (plutôt les deux!) pour les prochaines années et plus.