C’est à une magnifique soirée mettant le jeune jazz à l’honneur qu’Arté Boréal et le Cercle avaient convié les mélomanes de Québec. La formation qui avait la part belle de cette offre musicale vient tout juste de changer de nom, mais poursuit la trajectoire amorcée en tant que Trio Jérôme Beaulieu, désormais sous l’appellation modernisée MISC. Un autre trio avait la tâche d’ouvrir les festivités, Nouvelle R, en provenance de Québec, alors que Misc est basé à Montréal.
Comptant dans ses rangs Olivier Bussières à la batterie, Carl Mayotte à la basse et Sylvain St-Onge à la guitare, un musicien qu’on retrouve aussi au sein de la formation 5 for Trio de Québec, la formation Nouvelle R a donné une prestation tellement solide qu’elle donnait des allures de plateau double à la soirée, les deux groupes rivalisant en qualité tout en ayant des styles bien distincts. Leur jazz assez rock qui tire parfois vers le prog est très bien ficelé, l’interprétation est impeccable et dans la tradition jazz, on laisse des moments pour briller à chacun des musiciens et ils l’utilisent à bon escient. «Et puis il s’éteint » est la pièce servie en ouverture et on comprend que les six musiciens réunis ce soir veulent un peu revirer la patente de bord, en commençant leur show par des pièces dont les titres, tout comme «La fin» qui ouvrait le show de Misc, sont peu usités pour un début de concert. Le batteur adopte un jeu ludique et rugissant pouvant rappeler Brian Blade par moments, pour l’équilibre subtil qui est maintenu entre la sobriété et la flamboyance. En parlant d’éclat, c’est «Le butin du forban» qui enchaînait, une espèce de pièce aux sonorités folkloriques un peu gentilhomme-pirate, mais en version renouvelée avec walking de basse hypergroovy et solos de guitare. Leur son, inspiré un peu du prog et du jazz fusion peut-être, flirt avec le cheesy mais sans l’échapper, toujours pour créer un ludisme et un dynamisme dont les compositions font bon usage, en plus de leur procurer une esthétique recherchée. Les musiciens sont tous polyvalents et impressionnants chacun leur tour, le batteur pour ses techniques et les beats spéciaux qui en résultent, le guitariste pour ses solos complexes, soutenus et sentis et le bassiste pour sa versatilité, lui qui passe avec aisance du frénétique au délicat. C’est d’ailleurs lui qui a présenté, avec des allures de stand-up comique mais probablement surtout à cause de son enthousiasme, la pièce «Calembour équestre» qui a enchaîné, ramenant le côté jazz fusion à l’avant plan et misant encore sur la virtuosité des interprètes.
Si toute la première partie de la performance était instrumentale, le groupe a pu compter sur l’apport de la chanteuse Marie-Claire Linteau pour la seconde partie, et bien qu’il se débrouillait très bien seul, cette dernière avait le talent nécessaire pour justifier sa présence. Sur une pièce intitulée «Sans dieu ni maître» en esperanto, elle maîtrisait le scat comme Ella et se lançait souvent à la poursuite des instruments pour en chanter toutes les notes pendant des segments, ou encore, déballer des notes de son cru qui venaient complexifier la mélodie présentée et compléter efficacement l’ensemble. Le guitariste adoptait parfois un jeu rappellant celui de Marc Ribot, surtout dans ses collaborations avec John Zorn, avant de passer brièvement à un style résolument plus rock, en bon héros de la guitare, comme Steve Vaï et compagnie. C’est une composition de Chick Corea qui a servi d’au revoir pour le groupe, qui se devait de présenter une pièce avec des paroles tant qu’à avoir fait appel à une chanteuse pour agrémenter sa panoplie sonore. Cette première partie fort généreuse a bien mis la table pour la suite des choses, alors qu’on allait voir un autre trio offrant une cure de jouvence au jazz, Misc.
Après une entracte assez courte, apparut le batteur William Côté, que j’ai d’abord connu dans l’excellente et défunte formation JMC Project, suivi par Philipp Leduc pour la contrebasse et de Jérôme Beaulieu pour le piano. Comme le guitare-basse-batterie, le trio contrebasse-piano-batterie est assez classique dans le jazz, mais cette instrumentation apporte des possibilités lyriques vraiment plus développées et Misc en tirent profit abondamment. Alliant des sonorités typiques du jazz scandinave et une approche plus près de celle des américains The Bad Plus, ils oscillent entre des compositions et des adaptations d’artistes connus d’ici et d’ailleurs, des indie rockeurs Blonde Redhead («Messenger») au chanteur électro James Blake («Overgrown») en passant par un des auteur-compositeur-interprètes chouchou des québécois, Daniel Bélanger («Respirer dans l’eau»). Les pièces de l’album homonyme ont défilé, toute la Face A du vinyle à venir en fait, avant qu’un retour en arrière ne se glisse dans le set, avec le titre «La chûte», qui fût l’occasion d’un magnifique solo de contrebasse. Faisant appel à l’archet pour la pièce suivante, le contrebassiste voyait le batteur lui offrir la réplique en partie avec un drum électronique, ajoutant de la variété à l’inventaire de sonorités employées. Les gars de Misc, capables autant de finesse que d’impact, ont continué avec la face B de l’éventuel vinyle et la pièce «Les années molles», dont le titre est inspiré d’un recueil de Normand Baillargeon, procurant un second moment politisé à la soirée et donnant l’occasion à Jérôme Beaulieu de blaguer en disant qu’à force d’être un band engagé comme ça, ils allaient d’ici quelques années ouvrir pour les Cowboys Fringants. Je ne crois pas que cela arrive en fait, ils ont plus de chance de partager la scène avec les torontois Badbadnotgood par exemple, un autre trio qui donne un coup de pied aux fesses du jazz et qui a d’ailleurs également repris des compositions du britannique James Blake. Pour le rappel, c’est une autre reprise, cette fois gracieuseté du rappeur K-Os («Crabbuckit»), dont les paroles étaient repiquées, ou transcrites en musique, donnant un résultat très festif tout à fait digne d’un rappel. Il faut dire que le piano un peu ragtime qui est échantillonné sur la pièce originale est assez propice à faire swinger les bassins. Le tout ne s’est pas pour autant transformé en piste de danse, la déconstruction était encore au rendez-vous comme dans la plupart des pièces reprises ou composées à l’origine par Misc, lorsqu’interprétées sur scène.
C’est vraiment une superbe soirée que ces six musiciens au talent incroyable ont offert aux mélomanes réunis sur place, et on ne remerciera jamais assez les gens qui osent présenter des évènements d’une musique aussi précieuse pour agrémenter un mardi soir qui aurait pu être beaucoup moins extraordinaire. Malheureusement, mon piètre talent de photographe et mon petit appareil compact n’avons rapporté en guise d’images que ces petits clichés imparfaits. La prochaine fois que ces bands passent, je vous conseille de venir voir en personne, ce sera beaucoup mieux!