Faire la critique du nouveau Father John Misty, c’est plutôt intimidant : le pseudonyme que s’est donné Josh Tillman est celui de son alter-ego-qui-n’en-n’est-pas-un, un moyen de pouvoir jouer le dandy désabusé et prétentieux et, paradoxalement, d’impudiquement dévoiler sa pensée la plus personnelle, ce qui fait en sorte que ses paroles sont souvent teintées de pseudo-supériorité intellectuelle. Rien de bien nouveau, alors! Ses deux précédents albums, tous deux magnifiques, nous avaient déjà introduits au personnage. Complexe univers qu’est celui de Father John Misty…
Pure Comedy, son dernier opus, est toute une expérience. De tous ses albums, c’est probablement le plus grandiloquent de l’artiste. Le thème majeur est l’humanité avec un grand H, ce qui est autant savoureusement immodeste qu’approprié pour un projet de Father John Misty. En ce sens, c’est un album-concept, comme les derniers. Dans une entrevue, le chanteur et multi-instrumentaliste a expliqué que son premier disque, Fear Fun, se voulait une introduction à Father John Misty, que son deuxième, I Love You Honeybear, était une exploration de ses sentiments romantiques et viscéraux à l’occasion de son récent mariage et que ce troisième serait une profonde réflexion sur l’humanité et tout ce que cela implique. Ceci dit, je dois évidemment paraphraser les mots du maestro, car ses dires sont infiniment plus obtus.
Cyniques tout en étant étrangement touchantes, les paroles de Misty, bien que poétiques, ont toujours eu un petit manque de nuance attachant (et maintenant caractéristique) qui surprend toujours. Cette «pure comedy», c’est l’absurde d’ici-bas, et Misty connaît son Camus. L’album regorge de personnages pathétiques, de questionnements politiques, de critiques acerbes et d’observations nihilistes. Dans un des moments les plus émouvants, Misty chante :
My first memory of music’s from
The time at JCPenney’s with my mom
The watermelon candy I was choking on
Barbara screaming, « Someone help my son! »
I relive it most times the radio’s on
That « tell me lies, sweet little white lies » song
That’s when I first saw the comedy won’t stop for
Even little boys dying in department stores
Ces vers, chantés avec une sincérité assez désarmante, sont les plus personnels que Misty n’aie jamais chantés. Comme quoi le personnage s’efface peu à peu à chaque album… Mais Misty n’est pas prêt de se départir de ses tics : il y a encore un peu de provoc’ dans les paroles, ça va de soi, mais celle-ci est toujours traitée avec humour. Cet humour, souvent kaufmanien et sardonique à souhait, fait partie intégrante de l’expérience.
Sur le plan musical, on a droit à du folk doux agrémenté d’arrangements symphoniques toujours captivants (on pense ici à la splendide «Leaving L.A.», qui dure 13 minutes!) des bribes d’Americana, des passages plus atmosphériques… et beaucoup de fétichisme de piano-rock de années soixante-dix. Les rythmes sont particulièrement lents, chose plus ou moins inhabituelle pour Misty, sans doute pour mettre davantage l’emphase sur les paroles. On ne s’en plaint pas. Toutefois, la variété prend un peu le bord : exit les rythmes rock, les guitares grunge et les éclectismes électro de ses meilleurs chansons.
Bien qu’I Love You Honeybear reste mon préféré, ce nouvel album de Father John Misty n’en demeure pas moins excellent. Quand la personnalité d’un artiste est si forte, si singulière, et que la musique qui l’accompagne est à ce point efficace, il est difficile de ne pas tomber sous le charme.
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