Fred Fortin traverse un printemps fertile en événements, notamment grâce à la sortie d’Ultramarr. Détourné des riffs de distorsion et du son rock qui ont permis à l’auteur-compositeur-interprète d’établir sa notoriété dans le paysage musical du Québec, l’album prend un virage introspectif, plus homogène sans toutefois être dépouillé d’intensité. En tournée de promotion à Québec, Fortin s’est arrêté à la Brûlerie Saint-Roch où je l’attendais, visiblement fébrile. Or, dans une franche simplicité, il a vite fait d’installer une ambiance bon enfant qui a jeté les bases pour parler de musique, son sujet de prédilection.
(Photos : Marion Desjardins)
Ultramarr
« La réponse est plus grosse que j’aurais espéré. Ben j’espère jamais rien, dans l’fond, quand je fais ça » a-t-il répondu, quand je lui ai demandé de me décrire ses impressions sur l’accueil favorable de son dernier opus. « C’est plus l’fun que l’monde aime ça que de se faire ramasser. Faque, je suis vraiment content».
À la première écoute d’Ultramarr, on réalise rapidement que Fortin a voulu explorer de nouvelles façons de composer la musique. Sans travestir le son qui lui est propre, on sent qu’il se calme, qu’il recherche une atmosphère plus uniforme: « En ayant fais le Gros mené en 2013, ça comme rempli une case pour moi qui est l’fun. J’pensais pas en refaire du Gros Mené, nécessairement. Pour moi, le poisson était mort! La manière que j’étais parti pour ce projet-là; je voulais faire de la musique organique avec des rythmes. Mais à la minute où j’ai fait les textes, je me suis dit “osti c’est du Gros Mené ça!”» avoue-t-il. De plus, même si Fortin n’écrit pas les chansons de Galaxie, il est très impliqué dans le projet et baigne forcément dans le rock. C’est pourquoi, en sachant qu’il allait travailler avec les Barr Brothers et qu’il désirait faire des « formes de musique répétitives qui ne sont pas compliquées dans la tête», il s’est enligné vers ce qui allait devenir son 5e album en carrière. « Je voulais que les tounes, autant que possible, se mettent en valeur entre elles et non pas se faire de l’ombrage. Dans des albums, il y a des fois une toune qui est complètement rock au milieu de quelque chose de doux. Je l’ai fait souvent ça aussi. J’avais vraiment une intention de faire autre chose».
Cette volonté de faire les choses autrement se transpose d’ailleurs dans la façon de livrer les pièces du dernier album en spectacle : « C’est pas mal un défi, mais c’est volontaire. Installer une vibe de rock dans une salle où tout le monde boit de la boisson, c’est pas très difficile en général», dit-il en riant. « C’est plus difficile de faire passer des tounes qui ont un mood plus introspectif. Tu dois être disposé à ce genre de toune-là parce que t’es pas tout le temps dans cet état d’esprit avant un spectacle. C’est sur que c’est plus exigeant, ça demande que la salle soit disposée à ça aussi». Néanmoins, Fortin assure qu’il y a quelque chose de viscérale et de complètement trippant à communiquer la musique par des moyens différents. Lors des spectacles à venir, il puisera sans doute dans Gros mené et dans ses albums précédents pour s’assurer de «donner un show d’une heure et quart». Rien n’est cependant encore défini, même s’il sait qu’il cherchera à concevoir un concert équilibré : « On va voir ce que ça nous dit quand on fait le show, de quoi on aurait le goût de faire», dit-it, « Olivier me connait pas mal par coeur, on est pas mal d’accord en général».
Question de casting
Sur Ultramarr, Fortin a eu recours aux talents des frères Barr, de François Lafontaine, de Sam Joly, d’Olivier Langevin et de Joe Grass, tous de grosses pointures de l’industrie musicale québécoise actuelle. Comment choisit-il les musiciens avec qui il travaille? « C’est vraiment du casting. Il y a d’excellents musiciens avec qui j’aimerais jouer, mais qui fitteraient pas sur ce genre de toune-là» affirme-t-il. « Bon, les Barr ça été une rencontre à Saint-Prime dans le garage à mon père. Je connaissais leur musique, je venais de voir leur show pis on a jammé un peu. On s’est dit que ce serait l’fun de faire quelque chose ensemble et ça m’est resté dans la tête.» En entrant en studio, Fortin voulait créer des structures musicales qui reflétaient les personnalités des frères Barr. Elles étaient le point de départ et une influence notable dans l’écriture de l’album. « C’est du monde qui m’inspire en partant», dit-il. « Sam Joly est un drummer avec qui j’ai joué un petit peu. Il a une personnalité tellement l’fun. Il est venu au Lac, à mon chalet et on a écouté de la musique. C’est un trip de muse qu’on se fait dans l’fond». Fortin reconnait que tous et chacun ont contribué beaucoup à l’album: « François Lafontaine, c’est une banque d’idées inépuisable. C’est un gars qui joue avec plein de monde, mais il est capable de se renouveler et d’être unique dans le rôle qu’il a à faire sur le disque. Pis Joe Grass, ben ça juste pas de bon sens».
Ch’tun mélomane
Gros Mené, Galaxie, la musique de la série les Beaux malaises et ses albums solos sont des projets qui se distinguent les uns aux autres sans nécessairement s’opposer. Selon l’artiste, c’est le reflet de sa culture musicale très étendue. «J’écoute plein d’affaires. On est aussi dicté par nos moyens, par nos forces et par notre potentiel musical. Je m’enlignerais pas de faire un album Jazz parce que ce n’est pas ma force, même si la musique m’inspire beaucoup. C’est le fait d’aimer la musique qui fait qu’on fait de la musique comme on la fait. C’est le fun de pouvoir avoir plusieurs influences». D’ailleurs, pendant l’enregistrement de l’album, Fortin révèle qu’il écoutait Randy Newman, JJ Cale, Tom Waits, John Coltrane, Ray Charles, Nina Simone; bref des «affaires qui reviennent souvent» dans ses vinyles. « Il y a tellement de la bonne musique, c’est fou! Ch’t’un mélomane», proclame-t-il. Durant la même période, il a également découvert l’album Pet Sounds de The Beach Boys: « Quand j’ai découvert Pet Sounds, je savais que c’était un album classique. Je connaissais déjà des tounes dessus que j’avais déjà entendues, mais je me le gardais comme une bouteille de vin. Il y a des albums de même que tu te dis »je suis donc ben chanceux de ne pas l’avoir encore écouté » parce que tout le monde le connait». Il s’est gâté, s’est imprégné de l’oeuvre et a visionné plusieurs documentaires retraçant la vie de Brian Wilson: «Pour moi, le gars représente un Beatles à lui tout seul, incluant George Martin. C’est toute sa sensibilité au delà de toute qui m’a touché». Le côté borderline mental des personnages campés dans Ultramarr sont d’ailleurs inspirés, en partie, par les personnalités comme Wilson, Syd Barrett ou Daniel Johnston, des êtres extrêmement sensibles qui ont sombré dans la folie.
L’industrie de la musique selon Fred Fortin
Faisant de la musique depuis longtemps, Fred Fortin a été témoin de la mutation de l’industrie musicale au Québec. Difficile de résumer en quelques mots tous les changements qui ont eu cours ces dernières années, mais l’Internet a selon lui eu une incidence considérable sur la façon de produire des disques. « J’ai connu l’agonie des gros major comme BMG qui étaient les rois de l’industrie. Il se vendait plus de disques, mais les artistes se faisaient plus fourrer aussi», dit-il. Aujourd’hui, les compagnies se sont plus adapté aux artistes et entretiennent des rapports plus proches avec eux. On parle davantage d’échange et de partage. Fortin avoue toutefois qu’il aimerait voir les ventes de disques augmenter plutôt que de gagner en téléchargement, mais capitule devant cette réalité qui, d’après lui, n’est pas sur le point de changer. « Moi, de toute façon, je fais des albums encore dans ma tête comme si c’était 1960. Moi j’aime ça avoir une pochette et un album.»
Histoire de basse
Fred Fortin possède des instruments qu’on peut qualifier de mythique pour lesquels il aime se remémorer des anecdotes amusantes. C’est le cas pour sa Fender Jazz Bass 1962 qu’il a acquis à l’âge de 18 ans. « L’instrument traînait dans un magasin à Saint-Félicien et je l’avais acheté pour 400$ pour un gars qui allait au cégep d’Alma. Mais là, j’ai eu la basse toute la fin de semaine chez nous et je me suis dit que je ne pouvais pas la laisser partir. Je savais que le gars n’était pas trop musicien, faque je lui ai offert ma Yamaha, pis il m’a donné 600$. Je me suis ramassé avec une Jazz Bass (qui vaut plusieurs milliers de dollars aujourd’hui) et une belle motte de hash». Pourtant, l’histoire ne s’arrête pas là: « Je me suis fait voler ma basse en déchargeant le stock chez Langevin. Ils l’ont oubliée sur la clôture pis il y a un gars qui est parti avec. Il a essayé de la vendre, faque il l’a montrée à des amis musiciens. Moi je la cherchais, faque je l’avais trouvée, mais le gars ne voulait pas me la redonner; il voulait me la vendre pour 400$, ironiquement. C’était de l’extorsion. J’ai mis la police là-dedans. Je lui ai dit »toi mon clown, c’est assez!’’»
Fortin enchaîne avec l’historique de sa Gibson EB2D: « C’est une basse que je voulais parce que quand j’étais petit, un chum de mon père est arrivé avec ça à la maison et je trippais ben gros dessus. Faque un moment donné, j’ai dit à mon père d’appeler son chum et de lui demander s’il veut la vendre». Malheureusement, ce n’était pas possible puisqu’elle appartenait à une tierce personne. Fortin a donc abandonné le projet. Mais le destin a fait ce qu’il fait de mieux:« Un moment donné, j’entends parler d’un gars qui veut échanger sa basse contre une Rickenbacker. Faque je voyage, je m’en vais à Alma et je rencontre le gars. Il me dit qu’il avait trouvé sa basse à Saint-Prime… Faque j’ai retrouvé la basse que je jouais dessus quand j’avais 10 ans». Incroyable.
Questionnaire musical en vrac
Vinyle ou Cd?
FF: « Ah! Vinyle. Moi j’ai tout le temps eu des vinyles depuis que je suis petit. J’avais pas de toutou, j’avais des 45 tours! J’ai eu mon premier tourne-disques super jeune, pis j’ai jamais arrêté d’avoir des vinyles. J’ai tout le temps eu une table tournante. J’aime ça le contact physique et le son des vinyles. Des fois j’écoute juste un bord, je me permets ça!».
Quels sont tes classiques?
FF: « Ah il y en a tellement! Il y a Pet Sounds, parce que c’est ça que j’ai dans la tête. J’ai grandi avec les Beatles, évidemment. Pagliaro, c’est mon premier idole, faque le premier Pag, j’ai encore ça en vinyle. Après ça, il y a les albums de Ray Charles, de Nina Simone, de John Coltrane, de Tom Waits. J’en ai tellement!»
Qu’est-ce que tu écoutes quand t’es in the mood for love?
FF: « Oh! Je sais pas… Je te dirais… Je sais vraiment pas! Ce qui joue dans le moment, ça dépend. De toute façon, je suis tout le temps in the mood for love!
Les meilleurs albums pour faire du char?
FF: « Wow! L’année passée j’ai ben trippé à écouter du Kurt Vile dans l’char. Je trouve que ça coule sur le long du Saint-Maurice. Souvent, dans mon téléphone, j’ai pas tant d’affaires que ça. Des fois je suis sur random, faque ça se promène entre plein d’affaires. Mais je te dirais Kurt Vile, Walking on a Pretty Daze, j’ai beaucoup aimé cet album. L’autre d’avant aussi, pis l’autre d’après aussi».
Ton plaisir coupable?
FF: «J’en ai pas mal plusieurs. J’ai des vers d’oreille. J’ai une maladie; j’ai une curiosité que quand je me souviens d’une toune, j’essaie de m’en souvenir, mais je ne m’en rends même pas compte. C’est comme une curiosité morbide. Je peux écouter la radio, pis pogner une toune, pis essayer de comprendre qu’est-ce que la personne avait dans la tête quand elle l’a faite. Faque ça me rend coupable de ben des affaires. C’est pas un plaisir, c’est plutôt une curiosité morbide et un masochisme assumés.»
V: « Comme les tounes de la Chicane… Ça t’arrives-tu d’en avoir dans la tête? »
FF: « Faut pas que tu le dises… Parce que là je vais me mettre à spiner de la Chicane dans’tête… Ben oui ça m’arrive! J’adore mon Boom! »
Quelle chanson aimerais-tu qu’on joue à tes funérailles?
FF:« Oh! Tabarouette! Je sais pas, je l’entendrai pas! »