Dans le quartier St-Jean-Baptiste, il y a un appartement où plusieurs destinées se sont croisées. Une sorte de repère pour les libres penseurs, les âmes en voyage et pour ceux qui vivent dans leur valises, ou plutôt qui se laissent porter par elles.
C’est un petit appartement au cachet rustique qui s’étend sur deux étages. Je me souviens d’y avoir rencontré Coroner Paradis il y a quelques années, un musicien-poète anarchiste, un sombre magicien de la prose, qui s’est exilé à Montréal. À l’étage du logement, il y a une poignée de petites chambres dans lesquelles habitent deux sœurs jumelles qui maîtrisent l’art du cirque. Calmes et souriantes, elles m’évoquent une rêverie peuplée de créatures de contes de fées. Toujours dans la partie supérieure de l’appartement, une nouvelle arrivée y fait sa place. Elle s’appelle Jane Ehrhardt et c’est une des musiciennes les plus actives de Québec, une sorte de légende du folk, si la ville de Québec peut se permettre de reconnaître une telle légende lorsqu’elle crée entre ses murs.
Retournons au rez-de-chaussée, si vous le voulez bien, pour rencontrer un autre nouveau venu dans cette bâtisse. Damon Hankoff.
Damon est un New-Yorkais venu étudier à Montréal sans savoir parler un mot de français et qui est resté par la suite. Il suit présentement une formation en lutherie à Québec et il y vit une immersion complète dans la francophonie. Je suis allé rencontrer l’américain pour son projet musical nommé étrangement Out of Sight of Land. En essayant de traduire le nom de son avatar musical, je me pose encore plus de questions. Une référence à l’inconnu? Lorsque nous sommes sur un bateau et que nous perdons de vue la terre, nous tombons sans repère, nous savons maintenant que nous ne pouvons compter seulement que sur nous-mêmes. En le questionnant sur son passé, je crois finalement comprendre ce qu’il sous-entend dans le nom qu’il a choisit pour son projet.
La musique fait partie de la vie de Damon depuis son enfance. Très jeune, ses parents l’inscrivent à une école secondaire des arts. À l’adolescence, son monde c’est le jazz. Il est autodidacte et devient multi-instrumentiste. Il étudie la théorie musicale à McGill et il évolue dans la scène jazz de Montréal. Dans ses cours, il doit choisir un nouvel instrument à apprendre. Sa mère, dans toute sa sagesse, lui conseille de choisir la contrebasse, car ça va lui permettre de jouer dans autant de concerts qu’il le veut. En plus d’accompagner des ensembles jazz à la contrebasse après ses études à Montréal, il gagne sa vie en chantant dans des chorales. Il adore la musique baroque et la musique de la renaissance.
Alors qu’il est de retour à New-York pour un séjour de quelques mois, il y a de ça 2 ans, il décide de commencer à travailler sur ses propres créations. De la musique qu’il a composé au piano, sur laquelle il travaille depuis des années. Il décide alors de sortir ses compositions de sa chambre pour les tester sur un public et quoi de mieux que le métro de New-York pour se pratiquer devant pleins de spectateurs. Il se rend vite compte qu’il ne peut pas toujours traîner son clavier dans le métro et c’est alors qu’il prend la décision d’adapter ses créations pour l’accordéon. Un choix original compte tenu de la saveur et de l’ambiance de ses chansons, qui sont loin d’être d’un registre folk. Transposer du piano ( un instrument avec lequel il a grandi et qu’il maîtrise bien ) à l’accordéon ( qu’il va apprendre à jouer par lui-même ) ne s’avère pas de tout repos. Il se pratique à chaque jour et ça va prendre un bon moment avant qu’il enregistre quelque chose. Et c’est peut-être là que nous pouvons retrouver la signification du nom Out of Sight of Land. D’assister à une dérive musicale contrôlée, de quelqu’un qui se place lui-même en territoire inconnu.
Qu’est-ce qui a été le plus dur à apprendre : l’accordéon ou le français ? Je pose la question à Damon sans trop de sérieux. Le français, qu’il me répond.
Le français, tu ne le maîtrises pas … like … T’es toujours en train d’apprendre, de franchir de nouvelles étapes. Tandis que l’accordéon, je peux apprendre à jouer une chanson très bien! Même s’il y a le vaste inconnu tout autour, je joue cette chanson là et je la joue bien. Tandis que le français, c’est n’importe quelle discussion que je vais tomber dans des concepts où est-ce que je n’arrive pas à m’exprimer, ou bien que j’aurais pu mieux le dire. En fait, les deux ( l’accordéon et le français ) sont des défis qui vont prendre toute une vie.
Fier d’une immersion totale à Chicoutimi qui a fait naître en lui des racines francophiles il y a de ça 10 ans, il allait les faire germer plusieurs années plus tard en déménageant à Montréal et ensuite à Québec pour ses études. Il a eu la chance de tomber sur des colocs amoureux de la langue française et musiciens, dont Julien Déry de Mauves, qui lui a demandé de les accompagner au piano à quelques reprises en show. Une occasion en or pour Damon de se faufiler dans la scène locale de Québec. Quelques petits concerts plus tard ( dont un remarqué au Festival OFF de Québec l’année passée ) et une tournée à moto de l’est du Canada, le jeune homme continue sur sa lancée. Il va sortir du nouveau matériel prochainement et il planifie une tournée à moto encore plus ambitieuse pour cette année.
Vous pouvez écouter Out of Sight of Land ici.