Photos : Jacques Boivin
On avait eu tout un coup de coeur l’année dernière au Coup de grâce musical de Saint-Prime. Faut dire que la réputation du petit festival jeannois qui termine en beauté la saison avait suscité de grandes attentes… qui ont été comblées et plus encore! On a décidé de remettre ça cette année avec une équipe bonifiée. Rien d’étonnant quand on jette un coup d’oeil à la programmation : Mononc’ Serge, Bernard Adamus, Les Deuxluxes, Les Hôtesses d’Hilaire, Lisa LeBlanc, Fred Fortin, Yann Perreau et plusieurs autres étaient au rendez-vous.
Voici donc notre compte rendu d’une maudite belle fin de semaine.
Vendredi 7 octobre (Valérie Vinet)
Le festival Coup de grâce de Saint-Prime porte bien son nom. Bien que la soirée ait été encore jeune, on sentait que ce n’était qu’une question de temps avant que la plupart des festivaliers ne plonge dans une débauche d’alcool, quitte à subir un réveil pénible le jour suivant. La scène principale se situait toujours dans cette vieille grange qui fait la renommée du festival. Pour l’occasion, elle s’était mise sur son 31 grâce aux éclairages qui lui donnaient une apparence glamour. À l’intérieur, les lumières suspendues au plafond diffusaient une ambiance chaleureuse pour les centaines de personnes venues assister aux spectacles. D’ailleurs, la foule hétéroclite composée de jeunes et moins jeunes, de citadins et de ruraux, a su nous faire vivre des moments d’anthologie qui nous ont permis de recueillir des anecdotes de brosse croustillantes. Bonne lecture!
Bottleneck Jay
Bottleneck Jay, un «one man band» de Montréal, a donné le coup d’envoi au festival. On s’attendait à entendre du blues un peu crasseux, mais c’est plutôt à un spectacle punk aux accents blues du Delta auquel on a eu droit. Dans la lignée des Ramones, le rythme minimaliste, lourd et rapide faisait définitivement hocher la tête. La voix acerbe de Jérémi Dallaire qui crachait des paroles mal articulées, mêlée au son de sa guitare Dobro servaient un résultat étonnant de punk-rock-blues-Mississippien. Ce premier fragment de spectacle s’est terminé sur la chanson Limoilou pour le bonheur des gens de Québec. Pièce déjantée de 55 secondes inspirée d’une mésaventure dans les rues du quartier de plus en plus gentrifié. Somme toute, Bottleneck Jay a du chien et a mis la table pour la dépravation des moeurs qui teintera la première soirée du festival.
Mononc’Serge
La grange n’avait pas encore atteint sa pleine capacité, tout était relativement sous contrôle et l’on pouvait encore circuler sans trop recevoir des coups de coudes dans les seins. Or, le temps de me rendre au bar au fond de la grange et de m’acheter une Molson Ex, la fébrilité avait déjà montée d’un cran et l’exercice de me frayer un chemin vers mon spot original devenait ardu. De jeunes gens visiblement intoxiquées se sont agglutinées devant la scène et attendaient Mononc’Serge.
C’est en formule trio que Mononc’Serge est monté sur scène, Peter Paul à la guitare et Ugo Di Vito à la batterie. En guise de préambule, le frontman, avec une pointe d’amertume, a rappelé aux gens du Lac qu’ils avaient fait rentrer Philippe Couillard aux dernières élections. Le ton était alors donné, on entrait en mode défoulatoire. Le trio a joué plusieurs pièces tirées du dernier album, Mononc’Serge 2015 telles que Charlie Hebdo, Hostie de bonne smoke,l’Ayatolla Couillard et la chanson à répondre Coupe Couillard que les gens chantaient avec fougue. Les chansons étaient entrecoupées de monologues savoureux et dénonciateurs de Serge Robert qui ne semble pas vieillir, comme un Benjamin Button qui serait figé dans le temps. Par ailleurs, la foule s’agitait un peu plus au fur et à mesure que les chansons se succédaient, faisant fuir les Boomers vers le fond de la salle pour laisser la place à la jeunesse qui souhaitait se rentrer dedans. Quelques classiques ont mis le feu au poudre comme Anne, le Joual et l’ultime Marijuana qui a vite fait dégénérer la patente. Le mosh pitétait violent. En terminant, props à Mononc’Serge qui a remis une jeune blonde écervelée qui montait sur scène pour lui faire des demandes spéciales « Hey criss! Tu vois pas que j’parle! ».
Après quelques bières, le besoin de visiter les installations sanitaires s’est fait sentir. Une file longue comme le bras m’a complètement démotivée jusqu’à ce qu’une femme m’apostrophe : « Inquiète-toi pas, on est toutes des filles du Lac icitte, ça prendra pas de temps, tu vas voir». Ok! Je ne savais pas ce que cela signifiait, mais ça m’a toutefois rassurée. D’ailleurs, les veuves de chasse présentes étaient sur le gros high et je vous assure qu’elles savent faire le party autant que les hommes…
Bernard Adamus
Impossible de retourner à l’intérieur de la grange. Il aura fallu que je prenne mon mal en patience quelques minutes et que j’écoute les premières chansons du spectacle de Bernard Adamus de l’extérieur. Une fois rentrée, c’était le festival des coups de coude, de la bière renversée et des moments de panique pour une personne agoraphobe comme moi. J’ai tout de même réussi, de peine et de misère, à accéder à la section VIP où je pouvais enfin apprécier le spectacle confortablement assise, Jameson à la main.
C’est un Bernard en forme et convaincant auquel on a eu droit. Full band, les musiciens ont su être intenses jusqu’à la fin. Le dernier album Sorel Soviet So What était sous le spotlight au début du concert avec les interprétations de Hola les lolos, le Blues à GG et la Part du diable. Enchaînant les chansons les unes après les autres, sans vraiment interagir avec le public, Adamus a, en revanche, offert une prestation généreuse et bien sentie. C’est toutefois lorsque le colosse a revisité les chansons de ses albums précédents que la foule est entrée en communion. Le refrain de Brun (la couleur de l’amour) que les gens s’époumonaient à chanter a suscité chez moi quelques frissons. Le chanteur a sûrement éprouvé la même chose puisqu’il s’est exclamé : « Saint-Prime Câlisse! ». Le clou du spectacle, un des moments les plus forts du festival a été, selon moi, la reprise de Faire des enfants de Jean Leloup. Les musiciens en transe, les crescendos et les gens qui chantent à l’unisson: « Attends un peu avant d’me dire que tu voudrais des petits bébés. Les gens aiment bien quand ça fait mal, mais y a pas de mal à se faire du bien ». Moment unique dans un décor rustique. On sentait nos racines pousser.
Yonatan Gat
Je passe derrière la grange pour me rendre à l’Hôtel Saint-Prime, un petit bar comparable à celui du Dauphin à Québec, pour assister à la prestation de Yonatan Gat. Déjà, on était entouré de citadins lookés qui détonnaient du staff. Il y avait un bar à shooter dans le coin, j’ai décidé de me gâter et deux jeunes garçons très sympathiques m’ont accompagnée. Il n’y a pas à dire, les gens du Lac sont hyper gentils et accueillants. Je prends une dernière bière après avoir discuté avec «Maman», la propriétaire de l’endroit qui m’a bien fait comprendre que le Lac n’est pas le Saguenay. Je m’installe à droite de la batterie et j’attends que le show commence. Du coin de l’œil, je vois une femme dans la vingtaine qui me zyeute de manière inquiétante. Je l’ignore. Je pense qu’elle me drague. Son regard devenait de plus en plus insistant quand je me suis rendu compte qu’elle m’exposait sa main ensanglantée, le sourire aux lèvres, elles aussi blessées. J’ai paniqué et j’ai changé de place. On niaise pas au Lac. Quand on fait la fête, on n’épargne rien ni personne.
Le New-Yorkais d’adoption et ses acolytes semblaient un peu étranges dans un décor aussi modeste que l’Hotel Saint-Prime. Comme un feu de camp, au centre du bar, le trio constituéde Sergio Sayeg à la basse Precision 1972, de Yonantan Gat à la guitare et du batteur Gal Lazer qui a le coup de baguette aussi rapide que le battement d’aile d’un oiseau mouche, était encerclé de festivaliers. Éclairés par des lampes qu’ils actionnaient eux-mêmes, le groupe a su nous donner une tasse de rock psychédélique qui nous a cloués au plancher. Petit potin: même les membres des Hôtesses d’Hilaire étaient captivés par la performance vigoureuse des musiciens. Longues pièces musicales, son distillé et le rythme mathématique et animal à la fois, la musique de Yonatan Gat intrigue. Excellente fin à une soirée assommante.
Le photographe a aussi vu les toujours excellents Marinellis. Vous pouvez voir quelques photos à la fin de l’article.
Samedi 8 octobre (Valérie Vinet + Jacques Boivin)
On savait que cette deuxième soirée allait être un brin folle : les billets étaient déjà tous vendus depuis quelques jours, le temps était beaucoup moins clément que la veille et trois des meilleurs artistes/groupes d’ici (et d’Acadie), dont deux vrais chouchous d’ecoutedonc.ca, allaient monter sur scène et nous faire vibrer.
Les Deuxluxes
La foule avait changé de mine; on y retrouvait surtout de jeunes trentenaires et la vibe était moins survoltée. Je me suis précipitée devant la scène, car je ne voulais pas manquer le duo Les Deuxluxes pour lequel j’ai un béguin depuis la première écoute de leur album Springtime Devil. Anna Frances Meyer est une vraie bête sur la scène musicale québécoise actuelle et son attitude badass la rend invincible sur les planches.
Glamour et sexy à souhait, Etienne et Anna ont foulé les planches avec attitude. Le kit incroyable de la chanteuse et le veston rouge à paillette du multi-instrumentiste confirmaient qu’on allait en manger une sincère. Le concert ouvre avec Queen of them all, peut-être la façon d’Anna de proclamer qu’elle était la reine de la soirée. Par ailleurs, ceux qui ont suivi le groupe cet été savent que les Deuxluxes se sont produits énormément. La voix de la chanteuse était toutefois impeccable et assez puissante pour s’attaquer à Springtime Devil, Tobacco Vanilla et l’excellente pièce Bomb of Time avec force. Le son garage et le rock vintage était une très bonne introduction aux Hôtesses d’Hilaire qui suivaient. (VV)
Les Hôtesses d’Hilaire
La question que se posait le photographe : Quelle robe allait porter Serge Brideau? On rit, mais c’est important, surtout quand on voit les Hôtesses aussi souvent que nous! Je veux dire… on a vu Serge en soutane, en robe de chambre bleue à fleurs, en robe moulante rose/blanche, en robe moulante à paillettes violettes, en costume de génie, en petit kit blanc pur en dentelle… vous voyez, la question se pose!
C’est donc dans cette robe noire (qu’il avait achetée avec nos amis de sorstu.ca) que Serge fait son entrée sur scène, accompagné du meilleur band rock que l’Acadie compte présentement. La prestation, axée principalement sur le dernier album du groupe, est électrisante. Léandre, Mico, Michel et Maxence sont aussi parfaits que d’habitude pendant que Serge s’amuse à faire capoter ceux qui ne l’avaient jamais vu auparavant. Faut dire que les Bleuets, ça aime ça, les personnalités fortes!
N’empêche que c’était pendant les parties instrumentales des chansons (je pense à l’interprétation magistrale de MDMA, ici) qu’on a entendu les mâchoires de nos voisins toucher le sol. Ne vous inquiétez pas, on connait le feeling, on est passé par là à quelques reprises. Encore une fois, la troupe de valeureux Acadiens a conquis le public québécois. C’est arrivé assez souvent dans la dernière année. Peut-être qu’on pourrait annexer le Québec à Tracadie pis Caraquet… question d’avoir la chance d’être de fidèles sujets d’Hilaire!
Ah, on oubliait presque! Au cours de cette prestation mémorable, Serge a réalisé un fantasme (le sien ou le mien, je ne sais plus trop) en invitant Lisa LeBlanc et Anna Frances Meyer à chanter avec lui Fais faillite. Un trip a trois qui a fait bien des jaloux. (JB)
Lisa LeBlanc
Bon, on va pouvoir se reprendre pour le coït interrompu de La grosse lanterne! Et Lisa ne perd pas de temps… elle lance doucement Voodoo Woman qui, on le sait, se termine avec une grande intensité, ce qui est parfait pour nous balancer J’pas un cowboy et Cerveau ramolli en pleine figure. La table était mise, ce show serait fluent dans les deux langues.
Lisa s’est promenée joyeusement dans son répertoire (son premier album, son EP et son excellent Why You Wanna Leave, Runaway Queen?), nous laissant à peine le temps de prendre notre souffle entre les chansons. Les acclamations du public se font à plein volume, ça danse, ça chante, ça sautille de partout. Y’a du cheveu en l’air dans la grange, les amis!
On s’y attendait, vu qu’on l’a déjà vue collaborer avec elle à un spectacle précédent, mais c’était quand même agréable de voir monter Anna Frances pour chanter I Love You I Don’t Love You I Don’t Know avec Lisa, un beau moment. On a aussi fort apprécié l’énergie déployée pendant sa tonitruante reprise d’Ace of Spades. Paraît que Lemmy tapait joyeusement du pied en enfer. On a quitté lentement pendant le rappel, pendant que Lisa chantait une chanson de circonstance : Y fait chaud. (JB)
Dimanche 9 octobre (Olivier P.-St-Pierre)
Gabriel Bouchard
La grange était pas mal pleine lorsque Gabriel Bouchard et son band ont entamé leur premiers accords. J’ai été agréablement surpris de l’énergie et du son à tout casser de la formation musicale. Mon seul bémol concerne, peut-être, les paroles un peu redondantes et l’attitude quelque peu timide du jeune chanteur. Bref, rien que le temps ne saurait arranger. Gabriel Bouchard aura certainement fait monter la température de la grange de quelques degrés, de quoi nous mettre bien à l’aise pour la suite de la soirée.
Fred Fortin
Sans tambour ni trompette, on nous annonce que la soirée se poursuit, non pas, comme prévu, avec Yann Perreau, mais bien avec Fred Fortin ! Noël avant le temps, comme disait l’autre !
L’orchestre de Fortin, composée pour l’événement de son fidèle acolyte Olivier Langevin, de Jocelyn Tellier, François Lafontaine et Samuel Joly, a débuté ce qui allait être, à mon avis, la meilleure prestation musicale de l’année (quoique, après coup, je crois avoir préféré le show de samedi dernier à l’Impérial, même si la grange n’avait rien à envier au vieux théâtre !), avec une ‘Oiseau’ jouée à la perfection. S’en est suivi une bonne heure et demie d’un gros trip de musiciens s’en donnant à coeur joie.
Fortin a débité un répertoire allant de Planter le décor à son petit dernier, Ultramarr, nous faisant cadeau de classiques aussi excellents que Plastrer la lune, Madame Rose, Scotch, Chateaubriand et la magnifique Mélane jouée en duo avec Olivier Langevin. Le choix des pièces était parfait. Les quelques emprunts faits aux albums précédents s’harmonisaient délicieusement avec le côté plus psychédélique du petit dernier et l’espace que laisse chacune des pièces à l’improvisation permettait à chaque musicien de montrer ce qu’il avait dans le ventre : avec Tellier, Langevin et Lafontaine sur scène, pas la peine de dire qu’on en a eu plein les oreilles.
Alors qu’on croyait, ayant entendu les pédales de fuzz s’allumer, que la soirée se finirait sur la cinglante Grandes Jambes, la troupe fortinesque nous a garoché en pleine face la très puissante et attitudesque Vénus, première track du dernier Gros Mené, de quoi faire s’effondrer le toit de la grange. Une maudite belle surprise !
Un show qui aura montré toute la qualité, la maturité et l’humilité d’un grand artiste qui, sans l’ombre d’un doute, sait s’entourer, sur une scène, des bonnes personnes ! (OPSP)
Yann Perreau
La fatigue aidant, nous ne sommes pas restés très longtemps au show de Yann Perreau. Pas qu’on l’aime pas, bien au contraire, il nous a encore montré en quelque chose comme six tounes qu’il était toute une bête de scène, mais la fatigue accumulée a eu raison de nous. On en a quand même assez vu pour voir un Perreau un peu différent des dernières fois. Il était émotif, notre ami Yann, en cette veille de l’Action de grâces. On l’a même trouvé un peu plus doux que d’habitude! Ça ne l’a pas empêché de sortir les bombes de son Fantastique des astres… On a entendu J’aime les oiseaux de notre gîte, à quelque 10 minutes de la grange. Comme quoi personne ne dort à Saint-Prime!
Conclusion
Trois soirées à guichets fermés dans la grange, des afters couronnés de succès à l’Hôtel et au Vieux couvent, cette édition 2016 du Coup de grâce musical de Saint-Prime était un succès sur toute la ligne et aura laissé chez nous quelques souvenirs indélébiles. On ne le dira jamais assez, mais on aime beaucoup ce genre de festivals créés pour le public. On peut dire que cette année, le Coup de grâce a atteint de belles limites et va devoir réfléchir à la manière d’accueillir un plus grand nombre de festivaliers. Parce que plus ça va, plus on en parle un peu partout. On parle bien sûr de la musique, mais on n’oublie jamais de parler des gens du Lac, qu’on adore de tout notre coeur. Certains d’entre nous ont même fondé des familles avec des Bleuets!
Si vous avez une auto, Saint-Prime n’est qu’à quelques minutes d’un paquet de lieux touristiques que vous pourrez visiter pendant la journée! Et si, comme nous, vous êtes pris à voyager en autocar, dites-vous qu’il n’y a rien là et que la seule observation des oies blanches (nombreuses en cette période migratoire) vaut le déplacement!
Chapeau à l’organisation du Coup de Grâce et aux gens de Saint-Prime, parmi les plus accueillants qui soient! À l’année prochaine!