J’ai longuement hésité avant de vous parler des deux formidables musiciens que sont Dave Rawlings et Gillian Welch. Parce que pour le faire, il faut inévitablement parler de musique country et que ce genre musical a un immense lot de détracteurs. Parmi ceux-ci, les blasés qui n’en peuvent plus d’en entendre parler (il est vrai que le country est un peu le « glutamate monosodique musical » du moment), les snobs qui sont persuadés qu’il faut venir de la campagne et/ou porter des franges pour apprécier et les épidermiques, qui semblent n’entendre que les trois mêmes accords, le ton geignard et les voix nasillardes. Rien de péjoratif ici: je suis moi-même blasée qu’on utilise le mot country comme rehausseur de goût pour tous les artistes qui utilisent une guitare acoustique, snob de musique pop et épidermique de jazz fusion, de prog et de pousseuses de notes qui font trop de fions. Je crois cependant que pour chaque genre musical (bon, peut-être pas pour le jazz fusion), il existe des artistes capables de transcender les clichés et de rejoindre à peu près n’importe qui. C’est le cas de Dave Rawlings et Gillian Welch.
Rawlings et Welch se sont rencontrés dans une prestigieuse école de musique de Boston au début des années 90. Elle était déjà reconnue pour sa voix riche et mélancolique et lui, pour son exceptionnel jeu de guitare, son Epiphone Olympic de 1935 et ses harmonies. Inspirée par les chansons traditionnelles country, folk, blues et bluegrass, leur écriture avait la particularité de donner aux thèmes chers à cette culture (l’errance, les grands espaces, les amours déçus) un son plus contemporain, son qui allait plus tard contribuer à définir le courant Americana que l’ont connaît aujourd’hui.
C’est alors qu’ils étaient en concert à Nashville qu’ils ont été remarqués par T-Bone Burnett, musicien et réalisateur de renom, qui leur a déniché un premier contrat de disque et qui a réalisé le magnifique album Revival en 1996 et Hell Among the Yearlings en 1998. Dans les années qui ont suivi la parution de ces deux albums, Welch contribue à la fabuleuse trame sonore du film qui me l’a fait découvrir: O’Brother Where Art Thou, des Frères Coen. Rawlings remplace ensuite Burnett et réalise les troisième et quatrième albums du duo: le mémorable Time (The revelator) en 2001 et Soul Journey en 2003. En 2004, il débute une collaboration avec Old Crow Medecine Show, d’abord à titre de réalisateur puis comme musicien – en studio et sur scène – et comme auteur-compositeur. En 2006, Rawlings, Welch et des amis musiciens commencent à se produire sous le nom Dave Rawlings Machine, avec cette fois Rawlings qui chante et Welch qui fait les harmonies. Après un premier album paru en 2009, « la Machine » revient en force cette année avec le très attendu Nashville Obsolete.
C’est peut-être à cause de cette pochette qui annonce un contenu plutôt sombre (on croirait la photo tirée d’un western à la Dead Man de Jim Jarmush), mais on est un d’abord un peu surpris par la lumière qui émane de la première pièce, The Weekend. Le timbre un peu rauque de Rawlings, les guitares, la douceur des harmonies de Welch et les cordes (qui viennent graduellement et délicatement appuyer l’ensemble juste avant le premier refrain) font en sorte qu’on se sent immédiatement à la maison, dans un son très chaleureux et familier qui nous rappelle un peu Dylan, mais surtout Neil Young et son Harvest Moon, pedal steel et harmonica en moins. Exit les trois accords monotones, le ton geignard et les timbres de voix qui grafignent les épidermiques : quand Dave Rawlings et Gillian Welch font de la musique, tout n’est que beauté. Ce nouvel album le confirmera tout au long des sept pièces sur lesquelles on se laissera planer avec bonheur, particulièrement The Trip, magnifique chanson-fleuve de onze minutes et Pilgrim (You Can’t Go Home), qui se fout également du format radio avec ses huit minutes de frissons.
Entourés de Paul Kowert des Punch Brothers à la contrebasse, de Willie Watson des Old Crow Medecine Show à la guitare, de Brittany Haas au violon et de Jordan Tice à la mandoline, nos deux comparses (qui recevaient la semaine dernière le Lifetime Achievement Award for Songwriting de l’Americana Music Association pour leurs vingt ans de collaboration) nous ont préparé un autre sans-faute, reprenant là où ils nous avaient laissés avec A friend of a friend en 2009. Reste à espérer qu’on les entendra sur scène dans les prochains mois. Tous ceux et celles qui, comme moi, ont eu la chance d’être au National en 2011, lors de leur seul passage en sol québécois, ne se sont pas encore remis de leurs émotions et attendent désespérément leur retour.
*Au moment de publier cet article, Acony Records n’avait pas fourni d’extrait de l’album Nashville Obsolete (qui est sorti le 18 septembre). Pour vous donner une petite idée du son, je vous en ai choisi un de l’album précédent.
**Et juste pour le plaisir, cette étonnante reprise de Led Zeppelin, avec John Paul Jones à la mandoline!