« Play Your Own Songs! » C’est ce qu’un spectateur – ou bien ignorant ou bien franchement déplacé – a gueulé à Plants & Animals alors que Warren Spicer ouvrait un rappel de façon fort appropriée en jouant Hey! Thats No Way To Say Goodbye de Leonard Cohen. Pour vrai? Tu es assez imbécile pour interrompre un tel moment? Si le groupe voulait faire un spectacle complet de reprises, ce ne serait encore pas de tes maudites affaires! Ce moment illustre assez bien le genre de soirée qu’on a passée au Cercle; un mélange de bonheur suprême d’entendre un groupe au sommet de sa forme et de honte d’être parmi des spectateurs aussi peu respectueux. Le Cercle a été plus que fidèle à sa réputation de salle où le niveau d’attention soutenu est facultatif. Dommage, car sur scène le groupe a défendu un des albums les plus sous-estimés de 2016, le magnifique Waltez In From the Rumbling.
Tout a débuté avec la puissante All of the Time offerte en ouverture et soutenue par la belle voix d’Adèle Trottier-Rivard. Que ce soit des chansons plus calmes comme Flowers ou l’ancienne À l’orée des bois, le groupe sait trouver un équilibre dans les textures et dans le rythme. Si le son « indie » du groupe a toujours fait parti de son identité, le retour à des formes plus progressives des nouvelles pièces est le bienvenue. Tout comme Faerie Dance, qui est toujours un moment fort, des pièces comme Stay et Je voulais te dire ont obtenu une réaction hautement favorable de la foule. Cette dernière, jouée en conclusion, deviendra sans doute un incontournable dans leur spectacle tant elle est efficace. Suffisait de voir les têtes hochées de satisfaction à l’avant pour comprendre… Une autre belle surprise fut l’ajout de Lola Who?, une des rares pièces jouées vendredi qui était absente du concert donné par le groupe au spectacle de la rentrée en septembre. Cette pièce représente la quintessence de ce que le groupe peut offrir et l’enlevante version présentée au Cercle vendredi n’a pas fait exception.
En première partie Ludovic Alarie a fait de son mieux pour réchauffer une salle bavarde. Sa musique délicate était semble-t-il difficile à entendre du milieu de la salle. Probablement qu’un spectacle dans une salle assise nous permettrait de mieux profiter du moment. C’est un guitariste extrêmement talentueux qui partage une parenté évidente avec Elliott Smith. Avec l’appui d’Adèle Trottier-Rivard à la voix (elle était partout, à notre plus grand bonheur!), ses chansons ont une meilleure répercussion. Seul sur scène avant Patrick Watson, sa voix manquait de mordant. Il a offert plusieurs nouveautés à paraitre sur un album l’hiver prochain. Nous en reparlerons assurément.
Ce fut donc une soirée mémorable, pas toujours pour les bonnes raisons. Public du Cercle, j’espère que vous retiendrez la leçon!
Présenter en concert un album aussi riche en arrangements et aussi fourni en musiciens que Cette chose qui cognait au creux de sa poitrine sans vouloir s’arrêter peut s’avérer un exercice casse-gueule, surtoutla première fois. Or, Antoine Corriveau entouré d’un solide trio de musiciens a démontré à quel point ses nouvelles chansons, même légèrement dévêtues, conservent toute leur âme et leur charge émotive. Corriveau avait l’air franchement heureux de commencer cette tournée et la foule, très attentive, quoiqu’éparse (où étiez-vous gens de Québec?), a eu la chance inouïe d’assister aux premiers balbutiements du spectacle et donc d’observer des musiciens en danger, mais en pleine possession de leurs moyens.
La performance a débuté avec Rendez-Vous, une pièce magnifique où les violons, comme sur plusieurs morceaux, ont fait place auxlignes de clavier chirurgicales de Marianne Houle. Celle qu’on a pu voir derrière le violoncelle avec le groupe Monogrenade a été la femme à tout faire de la soirée passant des bidouillages divers, aux claviers, au violoncelle, tout en ajoutant sa voix avec parcimonie sur plusieurs chansons. La chanson Deux animaux interprétée après Contours clairs a confirmé que l’album ne nous serait pas servi en ordre, un bon moyen de surprendre l’auditeur. Le rythme entêtant de cette pièce évoquant Blonde Redhead, époque Misery is a butterfly, se transpose à merveille en concert. Si l’épique Juste un peu a contribué à hérisser davantage le poil sur nos bras, Constellations souffre un peu de l’absence malheureuse, quoique tout à fait compréhensible, de Fanny Bloom. Une grosse partie de l’âme de cette chanson résidant dans cet échange entre la voix imposante de Corriveau et celle plus lumineuse de Bloom, on suppose que Marianne, qui a une superbe voix, préfère ne pas chanter la section féminine de cette chanson. Parfaite, cette courte pièce poétique plus parlée que chantée, se transpose quant à elle à merveille en spectacle; la montée dramatique y étant encore plus efficace en concert… un moment fort.
Quelques « succès souvenirs » ont aussi fait leur chemin dans la liste de pièces du concert dont Tu es comme la nuit, Noyer le poisson et La Tête en marche particulièrement pertinente dans l’univers sombre et puissant de Cette chose qui cognait… Gros coup de coeur pour l’interprétation bouleversante des Hydravions de trop, pièce mélancolique, s’il en est une, qui était aussi la plus dépouillée au programme. Antoine Corriveau a terminé son tour d’horizon du nouvel album avec deux pièces parmi les plus fortes de sa discographie: Les trous à rats et l’énergique Croix blanche, toutes deux diablement efficaces malgré l’absence de tous ces violons qui semblaient essentiels; l’apport mélodique de tout le monde sur scène comblant le vide laissé par l’absence de la vingtaine de musiciens sur l’album. Corriveau est ensuite revenu sur scène interpréter deux chansons en solo dont une pièce inédite malheureusement écartée du nouveau disque s’intitulant Deux femmes, douce ballade guitare/voix/harmonica qu’on entendra peut-être sur une parution future. Ce dernier a d’ailleurs remercié sa maison de disque, les très locaux Coyote Records de lui avoir permis d’avoir un titre si long! On peut imaginer Fiona Apple avoir des discussions similaires avec sa maison de disque!
Il est impossible d’ailleurs de passer sous silence l’incroyable contribution de Stéphane Bergeron à la batterie. Il avait bien sûr un rôle important au sein de Karkwa et il suit Corriveau depuis un certain temps déjà, mais placé directement à sa droite sur scène, l’ampleur de son talent irradie littéralement, tant son jeu empreint de subtilités et de petites variations apportent beaucoup aux compositions touffues d’Antoine Corriveau.
En première partie, Simon Paradis a présenté les pièces de son album L’issue du soir. Il a entrepris son spectacle avec la très « beatlesque » Express de minuit pour ensuite enchaîner des morceaux comme Appartement et Corbeau. Il a présenté le tout en mode solo-piano à l’exception de 2 pièces à la guitare accompagnées par la musicienne Jane Ehrhardt au piano, dont l’efficace Jupiter. Si les mélodies sont fortes et accrocheuses, on sentait la nervosité dans la voix de Paradis qui manquait parfois d’aplomb devant la foule attentive.
« Septembre nous gâte, et demain est une autre vie. » Les paroles ouvrent avec une foudroyante vérité la dernière pièce du très attendu quatrième album d’Avec pas d’casque, Effets spéciaux. La vie après l’écoute de ce disque est en effet différente. C’est dit.
Le groupe mené par la plume pleine de splendeur de Stéphane Lafleur offre ces neuf chansons contemplatives. Nous sommes de plus en plus loin des disques où les textes plus sombres avaient souvent un côté débridé. On ne retrouve pas non plus de chanson au rythme plus effréné (on pense à L’amour passe à travers le linge ou La journée qui s’en vient est flambant neuve). C’est lent, les chansons se déploient graduellement et l’album se révèle subtilement au fil des écoutes. Pour s’y immerger, on peut supposer qu’une écoute sur vinyle (principalement pour profiter de la superbe pochette signée par le batteur du groupe, Joël Vaudreuil), lumières closes, consommation à la main serait le plan idéal.
Autour qui me laissait d’abord perplexe en ouverture d’album donne finalement la juste mesure de ce qui attend l’auditeur, c’est-à-dire un album à la fois paisible et poétique. Ensuite, La peur de perdre, sans doute l’une des plus belles chansons jamais écrites par Stéphane Lafleur, semble témoigner autant de l’angoisse de perdre une amitié que de régresser comme société; habile. Tout ça sur une mélodie spécialement bouleversante.
Si Il fait noir de bonne heure nous convie à une certaine légèreté, Derviches tourneurs surprend par son rythme changeant, soutenu par des cuivres et congas. Une magnifique réussite qui confirme qu’Avec pas d’casque pourrait réussir en assumant un côté plus orchestral.
Ce segment plein d’espoir se poursuit avec la douce Hu-hum. Si chaque album du quatuor contient son lot de perles, peu de strophes pourront se targuer d’être aussi poignantes que celle apparaissant dans le magnifique hymne à la vie qu’est Audrey est plus forte que les camions : « Ils ont fouillé son coffre de chair / aux douanes de la mort / et n’ont trouvé / que sa cargaison de courage. » Loup-Garou, un autre moment fort de ce disque, semble évoquer une certaine rédemption amoureuse. Tout au long de l’album, Lafleur aborde l’amour habilement, avec subtilités, très loin des lieux communs si souvent employés en chanson. D’ailleurs, en conclusion, Nos Corps (en ré bémol) est une splendide ode à l’Amour; point d’orgue lumineux pour cet album d’une beauté sidérante.
L’apport de Nicolas Moussette est aussi audible qu’à l’habitude, et cette fois, le travail de Mathieu Charbonneau est davantage mis de l’avant. Suffit d’écouter Les gloires du matin pour réaliser que sa place est plus assumée. S’il a débuté comme musicien de tournée il y a quelques années sur un rocher de Tadoussac et qu’il avait enregistré le combo Astronomie/Dommage que tu sois pris avec eux, il est maintenant une pièce maîtresse de l’évolution du son du groupe.
Effets spéciaux surprendra l’auditeur qui prendra le temps d’apprivoiser l’album par sa subtile plénitude. L’ensemble des pièces forment un tout cohérent qu’on pourrait très bien accueillir d’un seul coup en spectacle tant tout est bien ficelé. Un très important ajout à la discographie québécoise. Lafleur annonce en début d’album : « Je suis venu te dire que je ne changerai pas. » Pour nous, c’est assurément une bonne nouvelle; surtout si c’est pour continuer à pousser cette aventure musicale vers de si fertiles territoires.
L’album Effets spéciaux (Grosse Boîte) sera en vente dès le 2 septembre.
Avec pas d’casque présenteront deux concerts à Québec en novembre prochain, d’abord le 24 novembre au Théâtre du Petit-Champlain (billets), puis à L’Anti Bar et spectacles (billets ci-dessous) deux jours plus tard.
Le bien-aimé festival de musique émergente en Abitibi-Témiscamingue en sera déjà à sa 14e édition cette année. Ce pilier dans le paysage festivalier québécois est encore et toujours un arrêt incontournable pour tout mélomane aguerri. Quiconque y a déjà mis les pieds connait l’ampleur du party et l’ambiance de rêve qui y règne. Si vous faites partie de ceux qui hésitent encore à y venir, vous aurez cette année plusieurs arguments (aussi appelé artistes) pour vous convaincre. Plusieurs marqueront de rouge les 4 premiers jours de septembre sur leur calendrier, mais faites vite, les passeports s’envolent généralement rapidement et la mise en vente a lieu aujourd’hui.
Si nous étions déjà au fait du concert hétéroclite et assurément très couru du 2 septembre sur la grande scène extérieure Desjardins avec Yann Perreau et HalfMoon Run, nous devions patienter pour découvrir le reste de la programmation. L’attente est terminée et l’équipe du FME a encore déployé son savoir-faire pour concocter une programmation riche avec une pléiade d’invités de marque.
C’est ainsi que nous pourrons assister à des performances de plusieurs artistes québécois émergents ou l’ayant déjà été. On pense à Groenland, Avec Pas d’Casque, Fred Fortin, Paupière, The Barr Brothers, Plants & Animals, Laura Sauvage, Quebec Redneck Bluegrass Project, Tire Le Coyote, Laurence Nerbonne, Les Goules ou un duo Galaxie/Marie-Pierre Arthur. Les amateurs de hip-hop en auront aussi pour leur argent avec entre autres, les Dead Obies, Koriass, Brown ou Rednext Level. Ce sera aussi la chance de faire de véritables découvertes comme UUBBUURRUU, Yonatan Gat, Ponteix ou Abakos.
Si le FME attirait en 2015 les groupes californiens Deerhoof et The Dodos, le festival réussit un autre coup fumant cette année en programmant un groupe pionnier du mouvement punk: UK Subs. Il y aura aussi le groupe torontois Metz qui viendra jouer son grunge-punk au petit théâtre de Rouyn avec Violett Pi et Royal Caniche.
Les initiés auront sans aucun doute le goût de récidiver cette année encore. En espérant qu’à la magnifique édition de l’an passé puisse s’ajouter d’autres souvenirs impérissables provenant des abords du lac Osisko .
Je ne comprends pas comment les choses deviennent populaires. Certains groupes qui remplissaient à peine un Métropolis à Montréal reviennent six mois plus tard, à tord ou à raison, jouer au Centre Bell. Pendant ce temps, des groupes aux qualités indéniables, possédant souvent une sensibilité pop les éloignant de la musique de niche, semblent vouer à jouer devant des foules conquises, mais modestes. Thus Owls incarne ce mystère. Chaque fois que j’ai eu la chance de voir le duo composé de Simon et Erika Angell j’ai été frappé par la facilité avec laquelle ils conquièrent leur auditoire. Le spectateur sera rapidement captif autant du jeu aigu et créatif de Simon que par la voix hallucinante d’Erika. Même devant les néophytes (je pense ici à leur performance en première partie de St Vincent il y a 2 ans au FEQ) ils réussissent en quelques mesures à faire taire les foules les plus indisciplinées (comme celles des festivals) et à les envoûter. Et pourtant, nous étions (seulement) une quarantaine d’irréductibles à venir apprécier la matière de leur tout récent EP Black Matter.
Le duo était accompagné par l’incroyable Sam Joly qui a fait un travail fabuleux étant particulièrement flamboyant sur la percussive pièce titre du dernier EP. La chimie semblait si bonne qu’on en vient à espérer qu’ils collaborent éventuellement en studio. Pour le concert, ils ont alterné entre les nouvelles pièces issues du EP et celles de leur dernier album complet Turning Rocks.
Si la performance était encore une fois irréprochable, la grille de chansons semblait curieusement séquencée. On pense à As Long As We Try A Little, qui perd un peu de son efficacité en milieu de programme alors qu’elle serait excellente en ouverture de concert ou de rappel. Quant à elle, leur reprise de Wicked Game de Chris Isaak aurait sans doute mieux fonctionné ailleurs qu’au rappel. Une ou deux chansons «upbeat» supplémentaires (on pense à Museum ou Turning Rocks ) auraient sans doute ajouté un peu d’intensité au programme somme toute assez calme. Est-ce seulement le désir de voir Sam Joly et Simon Angell s’éclater davantage avec leurs instruments respectifs?
Si on fait fi de ces minuscules détails, force est d’admettre que les spectateurs présents étaient tous conscients de la chance qu’ils avaient d’écouter le trio dans une configuration aussi intime. Reste maintenant à leur souhaiter que la reconnaissance critique soit suivie de la reconnaissance populaire qu’ils méritent.
Je l’avoue, à la suite de la première écoute de ce second volet dans la discographie de Bernhari, c’est un mélange de stupéfaction et de déception qui m’a habité. Le spectacle d’entre-tournée à la Grosse Lanterne avait été magnifique et la musique fleurtant souvent entre un rock foisonnant et un subtil shoegaze laissait entrevoir de douces promesses pour cette Île Jésus. J’espérais des effluves psychédéliques pour accompagner la voix sensuelle d’Alexandre Bernhari, mais c’est finalement des claviers lancinants qui m’ont accueilli. Je n’ai rien contre le clavier en soit, mais je ne pige pas cette mode rétro-année-80. Si ça fonctionne parfois, comme sur l’inventif Maladie d’amour de Jimmy Hunt, ça donne aussi naissance à des mélodies racoleuses qui auraient été mieux servies par un son plus moderne.
Pour les besoins de la critique, je me suis imposé quelques écoutes et une fois passée la déception initiale, je me suis surpris à voir mon appréciation croître pour certaines pièces en particulier. Toujours toujours était assurément un choix logique comme premier simple. Sa mélodie entêtante s’imprègne rapidement dans le cortex se transformant en sympathique ver d’oreille. La formule « claviers cheesy » fonctionne bien sur certaines pièces comme La Nébuleuse qui est portée par un rythme langoureux fort intéressant ou sur Laniakea (Les yeux) qui est joyeusement dansante. La guitare quasi classique-rock donne une teinte très intéressante à l’introduction de l’album et à l’intermède intitulés respectivement Royalement et Royalement II. On en aurait pris davantage. Les chansons plus lentes comme Aime-moi et Île Jésus tombent un peu à plat, ni portées par une mélodie mémorable, ni agrémenté de textes particulièrement inventifs. La réalisation signée encore une fois par Emmanuel Éthier (oui! le même qui a produit le fameux Maladie d’amour) est impeccable, mais on en vient à soupçonner l’homme d’être responsable de tous ces claviers dégoulinants.
Concernant les textes, l’album baigne dans le spleen amoureux et Bernhari est porté par une poésie moins inventive et urgente que sur son disque éponyme. Si l’auditeur est souvent plongé dans les lieux communs inhérents à ces thèmes, quelques morceaux se distinguent encore une fois tel Les années dix qui s’ouvre sur cette strophe douce amère: «C’est la décennie des écorchés / Je ferme les yeux et je fixe le noir / Je ne voudrais surtout pas me retrouver autre part». Toujours Toujours (on y revient à celle-là) semble être une subtile invitation à passer une nuit avec son auteur: « Que diriez-vous d’être seules /Avec moi de mordre la pomme / Dans un très grand lit / sous un tableau exquis ».
L’invitation à mordre cette pomme est lancée pour samedi soir prochain, le 21 mai au Cercle avec Les Louages en première partie. À voir… Bernhari est spectaculaire en spectacle.
Je ne cours pas les concerts d’aréna. Généralement, les groupes que j’affectionne ont tendance à jouer dans des salles plus intimes. Pearl Jam, c’est différent. C’est l’un des rares groupes du mouvement alternatif des années 1990 que j’ai suivis au fil des ans. Ils ont longtemps réussi à maintenir un excellent niveau de qualité pour leurs albums. Si le groupe a semblé parfois s’égarer dans les affres du rock fédérateur sur les deux derniers albums (Backspacer et Lightning Bolt), tout amateur de Pearl Jam le dira, le véritable plaisir de les voir en spectacle réside en son côté imprévisible. La grille de chansons malléable change à tous les concerts. N’importe quelle chanson du répertoire peut y trouver une place, et ça donne des concerts excitants. Certains groupes pourraient d’ailleurs prendre exemple, puisqu’il y aura toujours des amateurs assez « crinqués » pour voir deux, trois fois le spectacle d’une même tournée.
Le Centre Vidéotron était bondé pour l’occasion, et la foule a été choyée par un concert bien ficelé où les succès se mélangeaient bien avec les morceaux moins connus, comme la chanson d’ouverture Of The Girl, un bijou issu du sous-estimé Binaural. La table était mise. Dans le premier segment, j’ai particulièrement apprécié l’interprétation fougueuse de Once et State of Love and Trust, deux pièces écrites dans les débuts du groupe. Light Years et Nothing As It Seems, deux pièces plus tranquilles provenant aussi de Binaural, ont été interprétées de magnifique façon par Eddie Vedder, qui est encore l’une des très belles voix du rock ‘n’ roll. Il y a bien sûr eu plusieurs favorites de la foule, telles Betterman, Eldery Women, Even Flow, Corduroy et la puissante Why Go?.
Le rappel a débuté avec une rare et merveilleuse reprise de The needle and the Damage Done de Neil Young alors que Vedder, en solitaire, a livré une interprétation particulièrement sentie. Le groupe a ensuite enchaîné quelques ballades avant d’accélérer le rythme avec Comatose et Lightning Bolt. Le point culminant du premier rappel étant une énergique version du classique Porch. Pour le deuxième rappel, le groupe a choisi d’interpréter les monstres de leur répertoire, y allant d’abord avec la ballade rock Daughter, poursuivant avec Do The Evolution et un trio de Ten (Black, Jeremy et Alive), l’album chouchou de plusieurs amateurs. Le concert s’est terminé lumières allumées sur une reprise du groupe anglais The Who intitulée Baba O’Riley. Ça concluait un immense spectacle de 35 chansons prouvant que les artifices ne sont pas nécessaires quand le talent musical est au rendez-vous.
La belle histoire de ce concert, c’est aussi les trois demandes spéciales faites par des admirateurs sur le forum officiel du groupe. Il y a d’abord cette femme, Valérie, qui a perdu son conjoint et qui voulait entendre Given To Fly. Vedder y est allé d’un touchant témoignage sur la vie et la mort avant que le groupe ne s’exécute. Il y a aussi ce couple qui voulait entendre Daughter avec comme épilogue la chanson It’s O.K. du groupe punk Dead Moon, ce morceau leur rappelant un moment éprouvant lors de la naissance de leur enfant (qui va heureusement bien aujourd’hui). Puis il y a cette mère qui a demandé la chanson Sad pour son fils de dix ans, Noah, qui allait assister pour la première fois à un spectacle de son groupe préféré. La demande était accompagnée d’une vidéo de l’enfant jouant cette chanson. Le groupe a non seulement exaucé la demande, mais Vedder a invité Noah à performer la chanson avec eux. Il fallait voir Stone Gossard accompagner le jeune homme éberlué pour comprendre à quel point le groupe tient à ses fans.
La rumeur veut que ce soit justement Gossard qui ait composé la grille de chansons pour le spectacle. Il suffit de faire un détour sur le Web pour comprendre que le fan obsédé jalouse tous ceux qui étaient présents jeudi soir. Et ce n’était pas simplement bon sur papier; j’ai assisté à un concert mémorable qui me prouve qu’il peut émaner beaucoup d’émotions positives d’un spectacle de cette envergure… un tour de force.
Mardi soir, le groupe Violett Pi nous conviait au lancement du vibrant Manifeste contre la peur. C’est devant une foule nombreuse mais d’abord timide que le groupe mené par Karl Gagnon a entamé le spectacle. Il a annoncé d’emblée que le groupe jouerait l’intégralité du nouveau disque avant de nous balancer une couple de vieilles chansons. Dès la deuxième chanson La mémoire de l’eau, deux constats s’imposent. De un, les amateurs du groupe présents avaient déjà écouté le nouvel album à quelques reprises malgré sa sortie toute neuve puisqu’on pouvait en observer plusieurs qui chantaient les paroles déjantées des morceaux encore frais. De deux, le groupe est déjà très à son aise avec le nouveau matériel. Malgré les structures parfois labyrinthiques des chansons, l’exécution était à la fois irréprochable et détendue (en autant qu’on puisse être détendu en jouant du Violett Pi!).
On a donc pu découvrir la force de frappe des nouvelles pièces et on soupçonne déjà que des pièces comme Singe de ville et Les huîtres de Julie Payette auront une place de choix dans la grille des chansons du groupe. Calude Gravol (dédiée à Claude Gauvreau) et Six perroquets séchés dans un tiroir en bois seront quant à elles de merveilleux moments de défoulement collectif. À voir le parterre s’enflammer et danser comme il le faisait, il était bien difficile de croire que nous étions un mardi de mai.
À la conclusion de cet intégral, le groupe a pris une petite pause avant de revenir faire bouger l’Anti comme il se doit avec des classiques comme Petit singe robot, Princesse Carnivore, Fleur de Londres ou la brutale Le clown est triste. Une belle leçon de rock par un groupe qui ne fait pas dans la dentelle tout en étant capable de saupoudrer ses pièces d’une touche sucrée. On imagine bien le party lever dans les festivals cet été!
On pourra revoir Violett Pi en juillet prochain au Festif! de Baie-Saint-Paul.
Malgré quelques soubresauts de vie (une paire de concerts anniversaires pour souligner les 10 ans de l’album éponyme) Les Goules avaient été placés sur le respirateur artificiel et c’est de façon aussi soudaine qu’inespérée qu’ils ont repris vie de manière fort éloquente avec leur nouvel album Coma, paru début mars. Ils venaient enfin présenter le fruit de cette résurrection vendredi soir dernier dans un Cercle paqueté et suintant. Ils étaient attendus et le moshpit s’est déchaîné en même temps que les premières notes de Parle Parle, la foule s’exécutant après les 4 coups de baguettes du batteur Igor Wellow. Le ton était donné.
C’est parés de nouveaux déguisements que les Goules ont transmis leur folie à la foule dans une joyeuse épidémie… Ça sautait, poussait, lançait de la bière, crachait les paroles avec acharnement. Le tour de force aura été de constater que les fans massés au-devant de la scène connaissaient déjà très bien le nouveau matériel. Ainsi, des chansons comme Coat de cuir, Piranhas ou Régimes auraient donné l’impression à un néophyte qu’il s’agissait de vieux classiques. Pour ceux-ci, le groupe a eu l’excellente idée de les insérer partout à travers les nouvelles chansons. On a donc pu entonner Taupe, Matelot ou Les Animaux assez tôt dans la soirée. Plusieurs moments goulesques sont venus ponctuer cette soirée dont cette incapacité qu’a eu le chanteur Keith Kouna à faire taire cet enfant terrible qu’était la foule alors qu’il essayait tant bien que mal de faire l’intro de la chanson Folk guitare «déploguée». Après un succès mitigé (pas certain que les gens en arrière aient saisi quoique ce soit de la partie acoustique de la chanson), il y a eu un moment de confusion alors que Kouna a manqué un «cue» de mise en scène lorsqu’il a déposé sa guitare classique à la fin de la chanson. Celle-ci semblait avoir été épargnée avant d’être hargneusement fracassée sur la scène dans ce qui semblait être un véritable exutoire. Le moment « Mes Aïeux », dixit Keith Kouna, se terminait d’une drôle de façon. Plus tard, on a dû deviner qui de Bobby Bazini ou Andrée Waters avait été le premier vivant aperçu par le groupe à son réveil du coma. Nous fûmes bernés par Monsieur Kill… Ils nous ont aussi servi une douce chanson d’amour: Pendaison, une hyperbole! Quand on croyait que la soirée ne pouvait être plus étrange, Kouna avouait être le professeur de danse de Yann Perreau, Beyoncé et Snoopy. On pourrait presque y croire…
Le concert a donc déboulé à un rythme effréné et le public qui en redemandait sans cesse en a reçu plein les tympans. Cette séance s’est terminée par la performance jubilatoire de Crabe, puis le rappel n’a fait que confirmer le statut mérité de groupe culte qui colle aux Goules, même s’ils n’en ont probablement rien à faire. Que ce soit durant Montagne, Biker, Dynamite ou Ville, le groupe a mis le public à sa main. Du devant de la scène au fin fond du Cercle, des spectateurs en transe chantaient et trippaient constatant que le groupe fétiche dépassait largement les cadres d’une réunion nostalgique. Rabin Kramaslabovitch, Ken Pavel, Klaudre Chudeba, Kouna et Wellow ont semblé profiter du buzz comme il se doit. Nous avons assisté à une renaissance et ce n’est certainement pas Québec qui allait s’en plaindre.
En première partie, Gerbia a garroché son punk-hardcore crasseux rappelant The Exploited. Pour le peu qu’on saisissait, on comprenait vite le créneau: une exécution ultra rapide sur fond de rébellion. Efficace, mais un brin répétitif n’en déplaise aux fidèles qui se réchauffaient dans le slam.
Nicolas Basque est un guitariste montréalais officiant dans la formation rock Plants & Animals avec le chanteur Warren Spicer et le batteur Matthew Woodley. Si la formation a enchainé les parutions à un rythme soutenu lors de ses premières années, il y a maintenant 4 ans qu’ils ont gracié les mélomanes d’un nouveau disque. Celui-ci, Waltzed in from the rumbling, paraîtra sur Secret City Record dès le 29 avril prochain. Entre temps, j’ai eu la chance de m’entretenir avec Basque au sujet de l’album, de la tournée à venir, mais aussi des différentes collaborations qui ont ponctué les récentes années.
(Photos par Julien Baby-Cormier)
Dès les premières secondes de l’entrevue, on ressent l’excitation autour de la sortie de ce nouveau disque. D’emblée, Nicolas confie que les premières réactions sont positives: «On a joué les pièces quelques fois en spectacle, les gens viennent nous voir pour nous dire qu’ils ont hâte d’entendre le disque, qu’ils ont aimé les tounes. Ça garde les gens captifs, c’est déjà un signe encourageant.» J’assitais d’ailleurs à l’un de ces spectacles de rodage au Morrin Centre en juin dernier et la performance des chansons, même parfois inachevées, m’avait laissé une impression fort positive.
Si le son de l’effort précédent, The end of that, était assez uniforme, le groupe a cette fois amalgamé plusieurs idées et plusieurs sonorités. Les deux albums précédents étaient issus de séances assez serrées où le groupe avait une idée claire de ce qu’il voulait. Cette fois, les séances furent espacées et beaucoup moins expéditives. La Fender Mustang de Basque et la douze cordes du chanteur Warren Spicer qui teignent l’univers assez acoustique de plusieurs chansons sont souvent accompagnées de piano, de synthétiseurs et aussi de violons. C’est Garbriel Ledoux, un jeune arrangeur que Spicer a rencontré en enregistrant l’album de Ludovic Alarie, qui a réalisé les arrangements de cordes pour l’album. Au sujet de l’album précédent qui avait reçu un accueil plus tiède, il ajoute: «Ce n’était pas une grande surprise, c’est un disque sur lequel il y a des trucs plutôt cool, mais aussi des chansons moins abouties qui collaient moins au son du groupe. Des fois lorsqu’on est assis entre deux chaises ça donne un résultat mitigé. C’est certain que ça nous a affecté; on souhaite toujours que ça fonctionne bien, mais en même temps on était un peu en réaction face aux disques précédents.»
Cette fois, les chansons ont eu le temps de mûrir. Les séances d’enregistrement étaient plus espacées et le groupe a pu tester ce qui fonctionnait en spectacle. «Ça ressemble plus à la façon dont on a fait le premier disque. On avait du temps devant nous. Notre but c’était de se créer un environnement parfait où on pouvait se renouveler, être créatif et trouver le meilleur de nous. On a choisi le luxe du temps pour pouvoir aller au fond des choses. On ne voulait pas avoir le sentiment qu’on aurait pu changer des trucs sur telle ou telle toune.» Ce processus a donc permis au groupe de livrer beaucoup de matériel lui permettant de faire des choix éclairés pour bien entourer les pièces maîtresses de l’album. Le matériel restant, dont une chanson très orchestrale arrangée par Ledoux, pourrait voir la lumière du jour éventuellement. Ce processus s’établit naturellement au sein du trio: «On est vraiment privilégié, on est plus comme une famille qu’un groupe, on se voit presque tous les jours», raconte Basque.
Le titre de cette nouvelle oeuvre, Waltzed in from rumbling évoque l’état d’être de quelqu’un qui continue à valser même si tout tremble autour de lui. À ce sujet Basque explique: «Il y a une image que Warren avait donnée qui représente bien l’album. Lorsque tu vois à l’aéroport 2 personnes qui se serrent dans leurs bras, il y a un mélange de tristesse et de joie; on ne sait pas trop si les personnes se retrouvent ou se séparent. (Le titre) c’est cet état d’entre-deux où malgré l’adversité, tu continues à danser.»
Questionné au sujet de son attachement à un nouveau morceau en particulier, il répond: «C’est souvent en jouant live qu’on découvre celles qu’on préfère, mais honnêtement, je pense que c’est la première fois que je termine un disque et que je suis fier de toutes les chansons. J’ai l’impression qu’on est allé au bout de ce qu’on voulait faire avec chacune d’elle. C’est sûr qu’une pièce comme « Stay » représente vraiment bien l’album.»
Ce luxe qu’est le temps a aussi permis à Basque de collaborer avec d’autres musiciens et le destin de ces multiples rencontres aura influencé l’approche de création. «J’ai fait beaucoup de musique de théâtre, puis il y a eu Philémon Cimon qui m’a approché avec Philippe Brault. Ça nourrit le processus de jouer avec d’autres gens et c’est bien de faire partie d’une communauté de musiciens. François Lafontaine, avec qui j’ai joué sur scène pour Marie-Pierre Arthur, est venu jouer sur deux pièces du disque; je lui faisais entendre des chansons, il trippait et c’était encourageant. Même si on prend les décisions à trois, on a eu beaucoup d’input de la part d’autres musiciens et c’était important. J’adore jouer avec d’autres gens, ça permet de découvrir un autre vocabulaire, d’autres façons de travailler. Avec Marie-Pierre, c’est vraiment une super gang de musiciens et Philémon c’est un genre de Jean Leloup qui est totalement lousse. Sur scène il faut rester sur le qui-vive, c’est vraiment le fun. Puis il y a Adèle Trottier-Rivard qui chante sur plusieurs pièces de l’album et qui nous accompagnera en tournée et c’est génial parce que c’est une super percussionniste et une super chanteuse. Ça amène une énergie nouvelle de l’intégrer aux concerts.» Le groupe part en tournée dans quelques semaines, mais il faudra attendre l’automne pour profiter des nouvelles pièces en concert. Un moyen d’arriver devant famille et amis avec un spectacle bien rodé. Bonne nouvelle pour nous, la formation est toujours une valeur sûre.
Questionnaire musical en vrac:
Quel disque représenterait le mieux ton adolescence?
J’écoutais beaucoup des trucs progressifs. Probablement Primus, l’album Sailing the seas of cheese.
Y a-t-il un disque qui a fait l’unanimité dans la van lors de la dernière tournée?
C’est difficile, ça fait longtemps, on était en France. On devait écouter du Serge Gainsbourg. L’homme à la tête de chou ou Histoire de Melody Nelson.
Est-ce qu’il y a un groupe avec qui tu aimerais partager la scène?
Il y en a plein, mais un avec qui nous avons joué il y a vraiment longtemps et avec qui j’aimerais performer à nouveau, c’est Wolf Parade. Ça a vraiment influencé comment on approche nos shows. À l’époque j’étais sceptique à leur sujet, mais ils m’ont marqué, c’est un des meilleurs groupes que j’ai vu live.
Quel serait un de tes albums québécois préférés?
Tout le band a beaucoup écouté Jaune de Jean-Pierre Ferland lorsqu’on a commencé à tourner. C’est un classique.
Est-ce qu’il y a un artiste pour qui tu es particulièrement fébrile de découvrir la nouvelle musique?
Je suis vraiment curieux d’entendre le nouveau PJ Harvey. Dans les dernières années, j’ai été très impressionné par le hip-hop aussi, Kendrick Lamar entre autres. C’est très créatif avec l’utilisation du jazz. Il est très inspirant.
Quel serait le meilleur spectacle que tu as vu dans ta vie?
En musique ou n’importe quoi? Parce qu’il y a un spectacle qui a changé ma vie, c’est Cabaret neige noire de Dominic Champagne dans lequel il y avait de la musique live. C’était au Rialto. J’étais allé seul autour de 16 ans et c’est après ce spectacle-là que j’ai décidé de faire de la musique pour gagner ma vie.
Finalement, quel serait ton dernier coup de coeur musical?
C’est plus expérimental, mais j’ai beaucoup aimé le dernier disque de Tim Hecker (Love Streams). Sinon Warren m’a parlé de Mauves. Leur prochain disque est réalisé par Emmanuel Éthier et chaque fois, il allait entendre le mix des chansons et il trippait. Il entendait ça dans le studio et il disait que c’était super excitant.
Waltzed in from the rumbling paraît le 29 avril, Plants and Animals sera en concert au Satyre de Trois-Rivières le 4 novembre, puis au Cercle le 11 novembre 2016.