Chantal Archambault m’inspire. Parce que ses créations réussissent à se frayer un chemin jusqu’à mon cœur et à y laisser une petite trace. Mais surtout parce qu’elle incarne tellement de belles choses : la joie de vivre, la liberté, la simplicité, la sincérité. Il y a quelques jours, elle dévoilait cinq douces compositions réunies sur un EP réconfortant. Avec À hauteur d’homme, elle fait vibrer des cordes sensibles avec délicatesse et justesse, tout en explorant de nouveaux sentiers mélodiques. Mot par mot, note par note, elle libère des émotions que les hommes gardent, encore aujourd’hui, trop souvent prisonnières.
Au cœur du trafic de la rue St-Jean, on jase au bord de la fenêtre d’un café. Il fait chaud, il fait beau et l’auteure-compositrice-interprète assise devant moi rend cette matinée encore plus lumineuse. Des étoiles dans les yeux, le rire contagieux et l’esprit grand ouvert, Chantal me parle des muses masculines derrière ses plus récentes créations, raconte ses expérimentations sonores, révèle la signification profonde de ses textes et partage, en toute humilité, sa vision tellement rafraîchissante de la vie, de notre société. À la suite de notre rencontre, j’avais juste envie de clamer haut et fort : «Chantal for president, câline de bine!»
Les sentiments des hommes
«Y’a des gars qui m’ont remerciée de certaines chansons parce qu’ils se sont reconnus pis qu’ils m’ont dit que ça faisait du bien qu’on parle de ça, qu’on parle des hommes. C’est encore, on dirait, un peu tabou. C’est fascinant… c’est vraiment fascinant», lance la Valdorienne avec stupéfaction.
L’artiste a observé que les sentiments des hommes étaient au cœur de plusieurs discussions avec ses amies. «On se rendait compte que nous, quand ça va pas, on en parle d’emblée, mais qu’il fallait beaucoup tirer les vers du nez aux gars dans des périodes où ça allait moins bien pour justement les faire cheminer là-dedans pis peut-être les amener à être plus en harmonie avec ce qu’ils vivaient», ajoute-t-elle.
À hauteur d’homme, c’est le rassemblement de vraies émotions, de véritables histoires que Chantal a couchées sur papier et transposées en musique. L’inspiration était partout autour d’elle. «C’est pas nécessairement des hommes qui ont croisé ma vie, mais qui ont croisé la vie d’amies proches, de mes chums de filles. Oui, il y a des hommes qui ont croisé ma vie là-dedans, mais c’était moins journal intime que ça l’a déjà été», souligne-t-elle. «Je peux aussi coller ces chansons-là à mon vécu. On est des êtres humains pis on se ressemble tous, on est tous un peu ensemble là-dedans. On vit tous un peu les mêmes émotions à certains moments de notre vie.»
Pourquoi écrire ces pièces maintenant ? «Mon père est tombé malade. J’ai eu vraiment comme un gros coup, pis souvent, c’est à travers ces émotions-là que je puise pour aller créer des chansons. J’avais un peu un petit filon pis je trouvais que les hommes, y’avait quelque chose à aller chercher là-dedans. Je le vivais aussi proche de moi, personnellement. J’ai trouvé que j’avais probablement un fil conducteur donc j’ai décidé de construire autour de ça.»
« T’as mis des dos d’âne en avant de ton cœur »
La première chanson qu’elle a écrite, Dos d’âne, parle d’un de ses amis qui éprouvait de la difficulté à s’abandonner dans une relation. «L’image m’est venue des dos d’âne. Pis j’avais ce témoignage de mon ami. Il s’est laissé aller pour la première fois depuis longtemps dans la relation pis ça a tellement porté fruit de façon incroyable. Il s’est passé de très très belles choses. Ça m’avait vraiment inspirée pour cette chanson-là», se rappelle Chantal.
« Tu comprends pas / Tu restes là / Tes sentiments comme des corps étrangers »
La pièce Corps étrangers, quant à elle, est inspirée d’un ami qui n’était pas épanoui au travail. «Il a dû faire des constats au niveau plus professionnel, il ne se réalisait pas. Ça l’a mené à des problèmes de santé pis une dépression. Tout ça, ce n’est pas triste en soi parce que ça l’a amené à faire une thérapie pis finalement aujourd’hui, il est plus en harmonie avec ce qu’il fait pis il s’est réorienté», explique l’auteure-compositrice-interprète.
«C’est dans les moments de crise comme ça où tu ne reconnais plus la personne pis y’a toutes sortes de réactions qui ressortent de ça pis c’est pas nécessairement si clair pour les hommes que des fois ça l’est pour les filles. Je sais pas pourquoi. Ça dépend des hommes, je veux pas catégoriser, ni généraliser.»
« Tu valses autour de plus d’un feu de joie à la fois / Je te vois, je te vois »
La pièce-titre du EP, À hauteur d’homme, traite «du désir d’aller voir ailleurs». «On peut penser un peu à de l’infidélité mais y’a tout ce désir-là extraconjugal», précise la musicienne. Entre les lignes, il y a aussi un message d’écoute de l’autre.
«Je dis beaucoup »je te vois ». Autant que dans la vie, on sent ces choses-là, tu sais quand on sent que l’autre est peut-être moins dans la relation. Mais y’a aussi je te reconnais dans le »je te vois ». Il faut être capable de reconnaître ces besoins-là de la part de l’autre pis l’autre doit être capable de reconnaître qu’il en est là dans sa relation pis qu’il doit t’en parler aussi. C’est toute une part de se reconnaître, se comprendre là-dedans pis s’accepter dans le fond.»
« Laisse-moi croire que l’on pourrait s’aimer / Sans camouflage, sans sparages, rien à prouver / Sans la peur de se faire voir / Au premier étage, à l’état sauvage, nu de vérité »
Lorsque je demande à Chantal quelles sont ses paroles préférées sur le EP, c’est après une brève hésitation, qu’elle me répond ceci : «Dans Le jeu des accroires, je parle beaucoup de trouver sa vérité. Je trouve que c’est quand même un espèce de petit portrait de notre société de tenter de se sortir de ce monde d’image, de tenter de se reconnecter vraiment plus vers qui on est», résume-t-elle. «Je parle du fait de ne pas se mettre de maquillage pis pas se mettre de camouflage, mais c’est aussi dans l’attitude, tu sais.»
Vient ensuite une question tout à fait légitime, une de celles qui font réfléchir. «Pourquoi on ne se sourirait pas plus ?», pose simplement l’artiste. «Des fois, les gens dans leur gêne face aux autres vont se fermer pis vont être des fois méprisants ou vont moins aller vers les autres, vont se confiner dans un statut qui, peut-être pour eux, veut dire qu’ils sont au-dessus de nous par leur froideur ou leur attitude un peu plus fermée».
Quand je vous dis que cette femme est inspirante, la suite de sa réflexion en témoigne particulièrement bien. «Je trouve qu’il y a tellement à gagner que de s’ouvrir pis d’être vrai. Pis si j’ai envie de rire fort, je vais rire fort. Pis si j’ai envie de danser dans un show pis d’avoir l’air folle, j’aime mieux ça que rester stoïque à avoir l’air de pas tripper sur ce qui se passe en avant de moi», exprime-t-elle. «Y’a tout un espèce de lâcher son fou que je trouve qu’on a perdu au Québec. Quand tu t’en vas justement dans des endroits comme New Orleans, tu vois les gens se parler, les gens danser, les gens être libres de leur corps.»
«Y’avait toute une quête de vérité qui transparaît un peu dans Le jeu des accroires. On se fait croire qu’on va bien, qu’on est bien, qu’on est au-dessus de tout ça, mais, finalement, on se met plein de contraintes pis on n’est pas nécessairement plus libres ou plus en harmonie avec la vraie affaire. Cette chanson-là, c’était comme un petit cri du cœur de recherche de cette vérité brute», conclut la chanteuse.
Cette vérité, Chantal l’a un peu trouvée à la campagne où elle s’est installée avec son amoureux, le musicien Michel-Olivier Gasse. «On est vraiment dans le retour aux vraies affaires pis tout le reste on s’en balance vraiment. On est vraiment plus relax pis ça fait vraiment du bien d’être plus en contact avec les gens, le temps, le fait d’avoir moins, de vivre dans la simplicité volontaire plus.»
De nouvelles avenues musicales
Au départ, la sortie d’un EP n’était pas dans les plans. C’est l’octroi d’une bourse en recherche et création du Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) qui a permis à Archambault de fixer les pièces sur support matériel pour qu’elles se rendent jusqu’à nos oreilles. «C’est grâce à cette bourse que j’ai pu me payer le luxe d’aller travailler avec quelqu’un qui allait pouvoir enrichir mes chansons. J’avais vraiment envie de me challenger un peu», explique-t-elle.
En effet, Chantal est allée chercher le réalisateur Alex McMahon pour amener ses compositions plus loin. «Il travaillait avec des gens qui ont un univers quand même différent : Ariane Moffatt, Alex Nevsky, Yann Perreau, … Tout le monde me disait que c’était un amour! J’aime beaucoup tomber en amour au niveau professionnel pis dans la vie. Je n’ai vraiment pas été déçue. C’est un gars super sensible pis tellement talentueux. Y’a su garder l’essence pis la nature de ce que je fais», assure l’auteure-compositrice-interprète.
Les chansons ont été enregistrées en quatre jours dans le studio de McMahon avec les musiciens Michel-Olivier Gasse à la basse, Guillaume Bourque à la guitare et Myëlle pour quelques accompagnements vocaux. «C’est le studio LGROS !», dit Chantal en riant. «Vu que j’ai aimé beaucoup le résultat, j’ai dit ok faut faire un EP. Pis un EP de quatre tounes, ben c’est court. J’ai dit je vais me payer une cinquième journée. On a enregistré une cinquième chanson (On veillera le feu) pis on a peaufiné les arrangements des quatre autres.»
«Y’a tellement de machines dans son studio, c’est complètement étranger à mon cheminement. C’est un vocabulaire et un registre que je ne connais pas pis ça me faisait ben tripper de le voir travailler avec ça aussi habilement pis rapidement. Je n’en revenais pas du cheminement que mes chansons pouvaient faire», lance-t-elle. Elle cite l’exemple des arrangements qu’on peut entendre sur la pièce À hauteur d’homme : «Je parle des oiseaux. Alex s’est dit je pourrais tenter d’aller chercher des petits sons, quelque chose de très aérien, qui vole. Y’a créé un son qui pouvait peut-être s’apparenter à ça. Ça m’a beaucoup impressionnée tout cet aspect-là.»
Pour succéder aux sonorités country-folk qui teintaient ses oeuvres précédentes, Archambault avait envie d’avoir un son un peu différent, qui marquera peut-être une transition dans son répertoire solo. «C’était vraiment un champ d’exploration pour voir où ça allait m’amener pis j’aime vraiment le résultat. Je pense que je me dirigerais peut-être un peu vers ça s’il y a un autre album éventuellement. […] C’est peut-être juste une tranche de vie, je n’ai aucune idée. Y’a des horizons qui peuvent s’ouvrir pis on peut aller ailleurs aussi.»
Le naturel revient au galop
Bien que la musicienne souhaite explorer et sortir de sa zone de confort, c’est essentiel pour elle de conserver ses racines folks. «Je veux les garder parce que c’est comme ça que je crée. C’est ce à quoi les gens qui me suivent depuis le début sont attachés. Je ne veux pas dénaturer ça parce que je ne veux pas non plus ne plus avoir envie de chanter mes anciennes chansons parce qu’elles s’harmonisent moins avec mon nouveau son», mentionne-t-elle.
Son amour pour le folk lui vient probablement de sa famille. «Ma mère écoutait beaucoup de Johnny Cash. Je me souviens que j’avais quelques mois et mes oncles et tantes avec ma mère s’amusaient à mettre une certaine musique pis à switcher au Johnny Cash. Aussitôt que j’entendais le Johnny Cash, je réagissais d’une façon particulière», indique Chantal.
Aujourd’hui, l’artiste écoute beaucoup de musique québécoise. «Je trouve qu’on a une espèce de belle culture pis y’a des femmes qui écrivent vraiment bien. Y’a vraiment un monde d’auteures-compositrices-interprètes vraiment stimulant au Québec pis je trippe vraiment sur les filles de ma génération qui écrivent. Je pense à Amylie qui vient de sortir, à Chloé Lacasse, à Mara (Tremblay), …»
Chez elle, c’est son amoureux qui s’occupe de l’ambiance sonore. «Mon chum a une collection de vinyles. C’est un espèce de geek qui met toujours la musique le matin, c’est vraiment le DJ de la maison», affirme-t-elle. «On dirait que je me laisse un peu porter parce ce qu’il va mettre. C’est très varié : ça peut aller de la musique américaine à du piano, du vieux blues, du vieux jazz.»
Visage à une face
En discutant avec elle, j’ai l’impression de la connaître. J’ai le sentiment qu’il n’existe presque pas, sinon aucune distance entre Chantal l’auteure-compositrice-interprète et Chantal au quotidien, celle qu’on pourrait croiser à l’épicerie du coin. Même si je me doute déjà de la réponse, je lui demande si c’est important pour elle d’être aussi transparente dans son art. «Oui, vraiment», me répond-elle d’emblée.
«Ce que je fais, c’est ce que je suis. What you see is what you get. Pis c’est la même affaire avec Saratoga (son duo avec Michel-Olivier Gasse). On est vraiment dans une dynamique de vérité. Quand tu viens voir le show, t’as accès à nous pis on joue pas de game», assure-t-elle.
Elle croit que cette proximité, entre l’artiste et l’humaine qu’elle est, contribue à faire tomber les barrières et à renforcer le lien privilégié qu’elle entretient avec son public. «Je me suis rendue compte, surtout avec la tournée de Saratoga, que y’a vraiment beaucoup de monde qui trippe sur ce que je fais, mais qui trippe fort, pis ça, ça m’impressionne beaucoup. Probablement à cause de cette vérité-là, c’est allé chercher les gens dans des endroits très précis de leur vie pis de leurs émotions», estime-t-elle.
«C’est peut-être à cause de ça que j’ai des personnes qui me suivent assez fidèlement pis qui ont vraiment été touchées par ce que j’écrivais et qu’elles se sentent à l’aise de me le dire. Y’a ça aussi. Quand t’es intimidé par la personne, tu te coupes de plein de rencontres.»
Justement, ne vous coupez surtout pas d’une rencontre avec Chantal. Elle est plus que sympathique donc, si jamais vous la croisez, allez lui jaser ça. Je peux vous dire qu’elle m’a apporté beaucoup et je la remercie pour ça.
Vous pouvez écouter son sublime EP À hauteur d’homme juste ici. À noter qu’il n’y aura pas de spectacles pour ce EP puisqu’elle est en tournée et en préparation d’un album avec Saratoga. Toutes les dates de Saratoga ici.
Sur ce, allons vivre comme s’il n’y avait pas de lendemain.