« Septembre nous gâte, et demain est une autre vie. » Les paroles ouvrent avec une foudroyante vérité la dernière pièce du très attendu quatrième album d’Avec pas d’casque, Effets spéciaux. La vie après l’écoute de ce disque est en effet différente. C’est dit.
Le groupe mené par la plume pleine de splendeur de Stéphane Lafleur offre ces neuf chansons contemplatives. Nous sommes de plus en plus loin des disques où les textes plus sombres avaient souvent un côté débridé. On ne retrouve pas non plus de chanson au rythme plus effréné (on pense à L’amour passe à travers le linge ou La journée qui s’en vient est flambant neuve). C’est lent, les chansons se déploient graduellement et l’album se révèle subtilement au fil des écoutes. Pour s’y immerger, on peut supposer qu’une écoute sur vinyle (principalement pour profiter de la superbe pochette signée par le batteur du groupe, Joël Vaudreuil), lumières closes, consommation à la main serait le plan idéal.
Autour qui me laissait d’abord perplexe en ouverture d’album donne finalement la juste mesure de ce qui attend l’auditeur, c’est-à-dire un album à la fois paisible et poétique. Ensuite, La peur de perdre, sans doute l’une des plus belles chansons jamais écrites par Stéphane Lafleur, semble témoigner autant de l’angoisse de perdre une amitié que de régresser comme société; habile. Tout ça sur une mélodie spécialement bouleversante.
Si Il fait noir de bonne heure nous convie à une certaine légèreté, Derviches tourneurs surprend par son rythme changeant, soutenu par des cuivres et congas. Une magnifique réussite qui confirme qu’Avec pas d’casque pourrait réussir en assumant un côté plus orchestral.
Ce segment plein d’espoir se poursuit avec la douce Hu-hum. Si chaque album du quatuor contient son lot de perles, peu de strophes pourront se targuer d’être aussi poignantes que celle apparaissant dans le magnifique hymne à la vie qu’est Audrey est plus forte que les camions : « Ils ont fouillé son coffre de chair / aux douanes de la mort / et n’ont trouvé / que sa cargaison de courage. » Loup-Garou, un autre moment fort de ce disque, semble évoquer une certaine rédemption amoureuse. Tout au long de l’album, Lafleur aborde l’amour habilement, avec subtilités, très loin des lieux communs si souvent employés en chanson. D’ailleurs, en conclusion, Nos Corps (en ré bémol) est une splendide ode à l’Amour; point d’orgue lumineux pour cet album d’une beauté sidérante.
L’apport de Nicolas Moussette est aussi audible qu’à l’habitude, et cette fois, le travail de Mathieu Charbonneau est davantage mis de l’avant. Suffit d’écouter Les gloires du matin pour réaliser que sa place est plus assumée. S’il a débuté comme musicien de tournée il y a quelques années sur un rocher de Tadoussac et qu’il avait enregistré le combo Astronomie/Dommage que tu sois pris avec eux, il est maintenant une pièce maîtresse de l’évolution du son du groupe.
Effets spéciaux surprendra l’auditeur qui prendra le temps d’apprivoiser l’album par sa subtile plénitude. L’ensemble des pièces forment un tout cohérent qu’on pourrait très bien accueillir d’un seul coup en spectacle tant tout est bien ficelé. Un très important ajout à la discographie québécoise. Lafleur annonce en début d’album : « Je suis venu te dire que je ne changerai pas. » Pour nous, c’est assurément une bonne nouvelle; surtout si c’est pour continuer à pousser cette aventure musicale vers de si fertiles territoires.
L’album Effets spéciaux (Grosse Boîte) sera en vente dès le 2 septembre.
Avec pas d’casque présenteront deux concerts à Québec en novembre prochain, d’abord le 24 novembre au Théâtre du Petit-Champlain (billets), puis à L’Anti Bar et spectacles (billets ci-dessous) deux jours plus tard.
On suit Les Deuxluxes depuis un petit bout déjà. Traitement Deuxluxes, le premier EP, nous avait donné un bon aperçu du talent d’Anna Frances Meyer et Étienne Barry. Un album de rock and roll qui a du mordant et qui promettait de belles choses pour la suite.
La suite, c’est bien sûr toute cette série de spectacles qui a mené les deux rockeurs un peu partout au Québec, au Canada et ailleurs! Dès qu’ils entrent sur scène, Meyer et Barry sont possédés par le démon du rock. Les costumes, la présence scénique de Meyer qui prend tout l’espace qu’on lui donne, le combo guitare-batterie-voix de Barry qui n’y voit rien avec sa crinière droit devant ses yeux.
Le 2 septembre, Les Deuxluxes lanceront Springtime Devil, leur premier album complet. Un album qui reprend exactement là où le duo nous avait laissés sur Traitement Deuxluxes (Queen of Them All aurait très bien pu y figurer), mais qui ne perd pas une minute pour nous emmener partout où Meyer et Barry ont eu envie d’aller ces derniers temps. Ça paraît dès la pièce-titre qui, en plus des effluves de rock and roll, sent les seventies dans son attitude glam-rock.
Un des meilleurs coups de Springtime Devil, c’est que même si on ne profite pas de la présence des Deuxluxes dans notre salon, il suffit de fermer les yeux pendant Lost pour imaginer Meyer en train de faire fondre le parterre en utilisant toute la palette d’attitudes qu’on peut trouver entre entre lascive et agressive pendant que Barry lui peint un décor à sa mesure avec sa batterie et sa guitare.
Même si elle a toujours été très importante, la voix de Meyer prend sur Springtime Devil une place de choix. Quelle voix! Ceux qui connaissent un peu Anna Frances savent qu’elle est capable de chanter à peu près n’importe quoi, mais avec Les Deuxluxes, elle monte, elle descend. Elle s’époumonne. Elle susurre. Elle grogne. Toujours aussi capable de t’envoyer un doux baiser en même temps qu’une tonne de briques. C’est ça, la soul, paraît-il.
De son côté, Étienne balise le terrain de jeu d’Anna Frances. Les riffs sur lesquels Meyer s’appuie pour nous ensorceler? C’est Barry. Le groove sur lequel Meyer se laisse aller? C’est en grande partie Barry. La voix un peu éraillée qui complète si bien celle de la gente damoiselle? C’est prince Barry.
Une chanson comme Smoke Me a même un petit côté psychédélique qui va sûrement nous rendre complètement fous en spectacle.
L’album se termine sur une Bloody Queen où Meyer chante comme si elle était portée par des anges. Sur un nuage. Accompagnée par un piano. Puis par un choeur. Est-ce que cette montée vers un paradis où se trouvent les Joplin et les Winehouse de ce monde se veut une rédemption pour tous ces mouvements du diable que Les Deuxluxes nous ont fait faire pendant le reste de l’album? On dirait bien.
Springtime Devil porte bien son nom. Nouveau printemps pour Les Deuxluxes, rythme endiablé pour les fans. Shinez vos souliers! ÇA, c’est du rock and roll.
L’album Springtime Devil (Bonsound) sera en vente dès le 2 septembre.
Les Deuxluxes seront au Satyre de Trois-Rivières le 29 septembre et au Cercle de Québec le 1er octobre prochain. Pour en savoir plus, consultez leur page Facebook.
Chaque parution de la troupe de post-rigodon bas-canadienne préférée de tout le monde me rend fébrile. Il faut dire qu’Alaclair Ensemble a frappé fort dès sa première parution, en plus de permettre que soit galvaudé le terme « ovni musical » pour décrire 4.99 la galette cosmique sortie tout droit de nulle part selon bien des observateurs, mais qui se trouvait être le fruit de plusieurs années de collaborations et d’échanges entre des membres influents des deux scènes rapqueb, la plus underground et la plus commerciale. Diverses parutions officielles et moins officielles se sont succédées, accompagnées par des tas de ces shows ultra divertissants qui ont fait leur marque de commerce, un peu partout au Québec. Si leur première parution a été transposée sur vinyle cet été, rebaptisée pour les circonstances en 24.99, gracieuseté de la boîte locale P572 qui offrait au groupe sa première aventure dans les sillons, c’est vraiment Les Frères Cueilleurs qui marque un nouveau chapitre à bien des égards pour le groupe cette année.
Il y a deux mois et demi, lorsque le compte de l’étiquette rapqueb par excellence, les Disques 7ième Ciel, a publié la vidéo d’ «Alaclair High» sur son compte youtube, on a compris que les gars faisaient pour la première fois affaire avec une étiquette de disque, après avoir été courtisés et avoir refusé des offres que d’autres auraient, et ont effectivement accepté. Ils semblaient jusqu’alors préférer conserver intégralement leur indépendance, vendre des CDs et donner la musique en ligne. Est-ce désormais chose du passé?
Malgré certaines appréhensions, on devait admettre que les gars étaient de retour en force avec le clip de leur premier extrait. La pièce occupe le centre de l’album qui est très bien monté et constitué à 100% de pièces fort intéressantes ; all killer no filler comme ils disent. D’entrée de jeu, on constate que l’album est très hip hop, moins axé sur le post-rigodon-bas-canadien, étiquette signifiant pour moi la signature musicale plus éclatée que le groupe a fait connaître, alliage électro-rap-r&b déjanté festif et groovy, souvent dansant. Certains pourraient être tentés d’employer le terme «linéaire» pour décrire l’album, mais je préférais de loin «cohérent» et garder le terme «linéaire» pour référer au fait que le groupe nous propose une véritable ligne du temps du hip hop, une leçon d’histoire à moitié réinventée en mieux. Est-ce que c’est un hasard si l’arrivée du groupe sur une étiquette rap précède la parution de leur album le plus rap à date, et si c’en est pas un, est-ce que ça signifie une perte d’indépendance? En fait on s’en fout de tout ça, à condition que la musique soit bonne et cet album, c’est de l’or pur.
Même s’il est un peu moins éclectique, le disque est loin d’être monotone. Diverses facettes du hip hop sont mises à l’honneur, des sonorités oldschool aux plus modernes, et le groupe joue avec tout ça en prouvant une fois de plus qu’il a de la culture et une créativité foisonnantes. Les pièces changent souvent boutte pour boutte en plein milieu, mais chaque changement même abrupt va de soi, l’album étant très bien monté, et les transitions, dans les pièces ou entre les pièces, étant toutes soigneusement calculées. Certains hits ressortent plus particulièrement du lot, mais le disque s’écoute très bien d’un couvert à l’autre. Les excellents, variés et hautement divertissants beats, en partie gracieuseté de Mash, un des fondateurs du groupe qui est moins présent aujourd’hui (d’ailleurs son visage ne figure pas aux côté des six autres sur la pochette), mais surtout de VLooper, l’homme-fort qui accompagne également Eman dans ses aventures solo et qui a également produit trois albums de beats en collaboration avec KenLo, le troisième disque figurant dans le triple faux-album Musique bas-canadienne d’aujourd’hui sous l’intitulé Un Piou Piou parmi tant d’autres. Assez parlé du passé, maintenant on parle du présent et du futur.
«Coucou les coucous», c’est beaucoup plus qu’une intro, avec un refrain tiré du cahier de règlements du studio loué pour enregistrer l’album, chanté/susurré en post-dub par Eman, accompagné des chants auto-tunés de KenLo, suivi de remerciements de Maybe Watson, et d’un beau petit verse de Robert Nelson aka Ogden. Celui-ci montre quant à lui divers styles sur cet album, délaissant un peu le personnage et son accent folklorique pour adopter un style plus sérieux pas mal efficace aussi, et ce dès le début de la pièce suivante, «La chicane». Celle-ci est une pièce un peu plus sombre avec trois des gars, qui coupe aux deux tiers pour introduire un nouveau beat, Eman étant sur le premier beat juste après Ogden et KenLo complétant le trio sur le deuxième beat. Encore une fois, on n’entend pas systématiquement tous les gars sur chaque morceau, mais leur présence est quand même bien balancée d’un bord à l’autre du disque. La courte «Mash» enchaîne d’ailleurs avec Maybe Watson mis à l’avant-plan dans la première partie, sur un beat aux accents nostalgiques qui change aussi aux deux tiers pour un truc vraiment nice et plus lumineux sur lequel, je crois, un Eman sur l’hélium virtuel vient répéter quelques mots imagés. «Fouette» s’ouvre et se ferme avec KenLo, qui fait encore des prouesses, surtout dans le dernier verse, et les trois autres MCs y font aussi de très bonnes performances. À date, les beats sont variés et imaginatifs, un peu dans tous les spectres du hip hop, mais sans qu’un moment particulièrement « oomph » se soit imposé particulièrement. «Est-ce que l’album sera plus linéaire?», ose-je me demander à ce point de mon écoute, pour avoir la réponse en double, et pas à peu près, dès le refrain de la prochaine chanson.
«Ça que c’tait» c’est vraiment une grosse bombe sale, super grimy-trap-je-sais-pu-trop catchy à mort et parfaite pour hocher de la tête à s’en décrocher une cervicale. Encore une fois, y a un changement abrupt à la fin qui est introduit avec brio pour présenter Eman un peu autotuné pour chanter, puis Maybe Watson qui chante l’autre partie avec sa vraie voix après un bon petit verse, le monde à l’envers par rapport aux habitudes de chant. Ce cinquième morceau ouvre une suite de purs hits qui dure jusqu’à la fin et qui donne envie de réécouter tout de suite l’album, avec l’intuition que la seconde écoute va révéler une exclusivité de hits finalement sur ce disque, et donc un album à écouter en loop. La leçon d’histoire rap susmentionnée prend une tangeante plus explicite avec la pièce «Les infameux» où les références aux canons du hip hop sont plus ou moins claires selon, mais où on peut entendre les gars émuler entre autres tantôt Snoop et Nate Dogg (Claude Bégin est moins présent sur cet album mais flamboyant ici en Nate Dogg), tantôt Biggie Smalls, Bootie Brown de Pharcyde et Prodigy de Mobb Deep, le groupe auquel le titre réfère.
Ensuite, ben c’est «Alaclair High» qui est complètement hypnotisante et qui gagne pas mal la course de la meilleure track, un peu de justesse avec deux-trois autres pièces redoutables qui la talonnent, et grâce peut-être à la longueur d’avance qu’elle avait par rapport aux autres et à l’effet accoutumance-amour. Le tempo reste pas mal bas sur «Mes gars shoot» qui enchaîne à merveille après le single-déjà-classique, la vibe est excellente et les refrains chantés sont toujours appréciés. «Humble French Canadians» est un autre highlight, avec un beat sombre et groovy qui accueille des petits verses-showcase qui s’enchaînent rapidement et montrent le talent d’Eman, KenLo et Ogden, avec un bridge émotif gracieuseté d’Eman, puis un autre de ces bienheureux changements de fin de track qui permettent à presque deux fois de beats d’entrer sur l’album, accompagné d’un verse plus long et bien serré de la part de Maybe Watson.
En faisant penser à du vieux rap français mais avec un rythme très minimaliste, l’instru de «Bazooka Jokes» offre une excellente séance de chillage aux oreilles et un excellent support pour les refrains et le verse final de Kenlo, seules parties avec un drum pour faire le beat, et les verses des trois autres gars, qui se couchent pas sur un drum mais sur une grosse basse et un court échantillon. La pièce suivante profite de la séance de relaxation préalable pour jeter un beat lent sombre et gangsta bien tonitruant, qui achève les vertèbres cervicales amochées par «Ça que c’tait». La pièce, qui est un autre des moments forts de l’album et qui s’appelle «Sauce pois», nous propose encore un changement de beat vers la fin et un long extrait au pitch changé, tiré d’une entrevue de Claude Dubois à propos de l’enregistrement de Mellow Reggae, c’est plutôt comique et ça s’achève sur une citation de circonstance après le beat qu’on vient d’entendre, où «y avait des basses qui bouffaient toute» sans que ce soit négatif dans ce cas-ci.
Encore une autre pièce au tempo assez bas s’ensuit, «Sous-sol po fini», une autre belle occasion d’apprécier le mix hallucinant de l’album, avec les backs vocaux vraiment ludiques et bien localisés dans les oreilles. Le beat propose encore un excellent mélange de rétro et de futuriste et c’est l’occasion pour Eman de prouver une fois de plus sa versatilité, lui qui impressionne du début à la fin de l’album et qui raflerait probablement l’étoile du match si ce genre de truc existait pour les disques, ce qui n’enlève rien à la performance des autres qui sont également au sommet de leur forme.C’est aussi la deuxième sur trois pièces consécutives avec des skits à la fin, celle-ci qui semble présenter KenLo imitant quelqu’un qui trip pas mal. Lorsque la dernière commence, on sent un peu plus le post-rigodon-bas-canadien refaire surface, «DWUWWYL» ou dowhatyouwantwithyourlife, plutôt dansante et dans le sillage lointain de «Fastlane», une pièce de leur plus récent «Toute Est Impossible» réalisée sur un beat du producteur montréalais Kaytranada. Au milieu de la pièce, la musique baisse un peu et une histoire vraiment l’fun est racontée par ce que je m’aventurerais à identifier comme Eman avec le pitch vocal baissé. La présence d’une pièce plus dansante en fin d’album laisse-t-elle augurer un prochain disque de cet acabit? Est-ce qu’il est beaucoup trop tôt pour y penser? Est-ce que les gars vont ben faire ce qu’ils veulent avec leurs vies? Et moi avec la mienne? En tous cas, je sais ce que je vais faire: réécouter l’album de ce pas, peut-être un peu parce qu’il se termine abruptement et nous donne envie d’en avoir plus, le défaut de sa qualité étant de donner l’impression d’être court, mais juste parce qu’il passe trop vite, en étant aussi bon.
Je pense que la vaste majorité des fans de la première heure vont aimer cet album et que celui-ci leur permettra par ailleurs de se faire des nouveaux fans dans la scène rap plus traditionnelle, étiquette de disque aidant. Avec ça, le groupe est allé chercher tout le streetcred qu’ils avaient besoin pour fermer une fois pour toutes le caquet à ceux qui disent que les gars font pas du rap. S’ils étaient dans une sphère à part, ils appartiennent maintenant de plein droit à l’univers rapqueb et dominent maintenant sans contredit cette planète aussi. D’une part c’est plus classique, la bride est tenue plus serrée, les délires se font assigner des cases horaires, on jongle moins avec les styles, mais d’autre part, ça reste totalement Alaclair Ensemble, c’est truffé de références à leur musique et à d’autres trucs, et leur imagination débordante trouve dans les diverses versions du hip hop «normal» un terrain de jeu où l’innovation reste permise et l’expérimentation valorisée.
Allez voir le pendant spectaculaire de ce nouveau disque et vous le procurer par la même occasion, dans la grosse ou dans la petite ville, ou encore sur leur page bandcamp.
Le groupe rock alternatif montréalais 3 headed giant composé de Marc-Antoine Dauphin – batterie, Gabriel Jetté – basse et Joémi St-Hilaire – voix, vient tout juste de lancer son premier album le 7 juillet dernier. Le groupe porte un nom qui les représente plus que bien : un trio qui sonne comme une tonne de briques! On explore un peu pourquoi?
Lorsqu’on se plonge dans l’écoute, on constate principalement deux choses: la qualité globale de la réalisation de l’album, ainsi qu’un niveau sans égal de créativité du groupe. On nous balance comme première piste Lullaby au son pondéreux, tant au plan vocal que musical. Les prouesses vocales de St-Hilaire se font rapidement entendre par son aisance tant dans les graves que les aiguës et de par son cri semblable à Benjamin Kowalewicz de Billy Talent. Cet amalgame mélodique s’agence sagement à la trame sonore, rendant l’écoute stimulante. La toute dernière pièce Desiderium (Parallel Universe) est, selon moi, le titre qui rend justice aux capacités gutturales du chanteur.
Côté instrumental, malgré l’absence d’une guitare, Jetté nous balance des riffs de basse techniques bien distortionnés. En symbiose avec la rythmique complexe et puissante de Dauphin, le duo offre des variations progressives alternant douceur et pugnacité. On ne s’ennuie pas avec eux! Leur style offre un terrain de jeux permettant d’explorer des structures, des thématiques et des sons variés. Magnus Circus fait ressortir cet aspect expérimental avec un thème plus théâtral mis de l’avant.
Malgré de telles possibilités musicales, on remarque que le groupe s’est doté d’une ligne directrice balisant ainsi l’infinité de possibilités artistiques que leur style leur offre. Peut-être serait-ce un sentier à explorer pour de nouvelles compositions?
Il y a des formations que l’on voit venir et d’autres qui nous prennent par surprise pour nous jeter par terre. Celle du quintet Les Évadés appartient définitivement à la seconde catégorie dans mon cas, alors que je les ai découverts sur le tard, plus tôt ce printemps. Confectionnée de mains de maîtres par cinq musicienset musiciennes de Québec — Marie-Christine Roy – violon et erhu (ex Les Chercheurs d’Or), Marie-Pier Gagné – violoncelle (Ego Death), Alain Fillion – guitare (Melody Cocktail), Mathieu Rancourt – contrebasse (5 For Trio) et Olivier Bussières – percussions (Nouvelle R) — la musique qu’ils créent collectivement est une véritable tapisserie musicale qui n’a rien à envier aux parutions sur la réputée étiquette Tzadik, où gravitent des musiciens partageant l’univers du prolifique compositeur jazz d’origine juive, John Zorn. Les Évadés ont d’ailleurs repris deux de ses compositions sur leur premier EP, Sortis d’urgence, publié en novembre 2014. Y figure une reprise de « Soledad » par Astor Piazzolla et une d’ « Invitation » par Bronislau Kaper, dont le début rappelle le très beau travail de Tom Waits avec Marc Ribot.
Les pièces de leur nouvel album homonyme se suivent et se complètent admirablement bien pour présenter une musique hautement originale où les musiciens se livrent à des échanges de haute voltige. La parution, entièrement instrumentale, présente plusieurs compositions de grande qualité avant de se clôturer sur une magnifique reprise de l’indémodable « Caravan ». Cette pièce qui allie du jungle jazz et des sonorités moyen-orientales, comme c’est souvent le cas de la musique du groupe Les Évadés, a été composée en 1936 par Barney Bigard and his jazzopators et popularisée par le big band de Duke Ellington l’année suivante, en devenant un standard qu’on ne se lasse pas de voir réinterprété.
On passe aisément du mélancolique à l’enjoué, avec des beaux moments de décrochage bien avenus qui ponctuent les compositions, où l’on peut entendre des échos des Dreamers, un groupe qui interprète des compositions de Zorn, mais avec des variantes originales. L’album s’écoute comme un bon film, fait vivre toute une gamme d’émotions, joue en intensité et garde l’auditeur complètement captif et fasciné d’un couvert à l’autre. Des instants hautement dramatiques, des transitions surprenantes et très habiles, puis des mélodies toutes mémorables qui se déploient parfois à une vitesse vertigineuse et qui ralentissent ensuite pour laisser tranquillement éclore des fleurs sonores. Bon je m’emporte un peu mais vous comprendrez en allant écouter les pièces de l’album, qui gagne toutefois à être écouté tel quel, d’un couvert à l’autre.
On les trouve sur leur site, leur bandcamp ou leur facebook ou sinon on les retrouve en personne lors de leur lancement à Québec, et c’est le 29 juin au Cercle à 19h avec l’entrée libre. C’est une occasion à ne pas manquer de voir et entendre le tout en personne!
La formation de Québec LOSprésentait récemment au public le fruit de son travail des dernières années, un court EP intitulé Small Surf qui préfigure un album complet prévu pour l’automne et qui sera intitulé… Big Surf. Le EP, paru de justesse avant la saison chaude, présente une pop-rock estivale qui constituera la parfaite trame sonore de vos séances de relaxation au soleil sur le balcon. Si la musique de LOS délaisse le côté mordant et garage des premiers EP, les mélodies accrocheuses sont encore au rendez-vous pour orner la petite galette et son éventuelle grande sœur.
Les trois pièces ici présentes sont à la fois distinctes et complémentaires, la plus mémorable et accrocheuse à mon goût est celle qui ouvre la parution, « Wooden Matter ». Les deux autres titres, « Baby And I » et « Teenager », sont toutefois des très bonnes cartes de visite pour illustrer les nouvelles sonorités, dont l’ajout le plus distinctif est à mon sens l’ajout de synthétiseurs et de vocaux féminins à l’arrière-plan (Maxine Maillet). La musique de LOS a évolué en une pop rock très léchée, confectionnée avec des multiples effets de guitare (Kenny Turgeon et Jean-Daniel Lajoie) qui viennent se poser sur une basse délicatement groovy (Symon Marcoux) et des rythmes épurés et accrocheurs (Kevin Robitaille).
L’illustration de la pochette, une gracieuseté du bien-aimé graphiste de Québec expatrié à Montréal, Thomas B. Martin, est le parfait complément pour cette parution à l’esthétique léchée, toute en simplicité et pourtant très élaborée, de la musique du quintet.
Vous pourrez découvrir leur musique en concert à Montréal le 5 juillet prochain, au Divan Orange en compagnie de David and the Woods, ainsi qu’au FEQ, le 9 juillet prochain sur les planches de la toute nouvelle Scène Fibe, qui fait la part belle aux talents locaux et-ou émergents. Ils seront également en concert au Sous-Bois de Chicoutimi à la fin juillet, avec une autre formation locale qui devrait publier quelque chose bientôt, La Fête, présentement en studio à Québec.
Le EP Small Surfest en écoute sur leur page Soundcloud et est également disponible pour l’achat sur iTunes. Je crois que pour se procurer ces trois titres physiquement (lire surtout: vinyles!), il faudra attendre la parution de l’album complet, cet automne.
Le trio de Québec FLOES qui dévoilait deux extraits coup sur coup plus tôt ce printemps vient de publier un EP de 5 titres fort bien ficelé. Intitulé Shade & Mirror, le maxi récapitule et nous ramène les deux pièces présentées au public, en l’occurence «Showdown» et «Hooked», dévoilées respectivement à la fin avril et au début mai. Ces deux morceaux, dont le potentiel était vraiment intéressant et laissait augurer un projet mature et abouti, ils se sont avérés plutôt représentatifs de cette parution, qui conserve un niveau de qualité élevé.
Il faut dire que les gars du band n’en sont pas à leur première initiative musicale et que ça se ressent bien. Le trio mené par Samuel Wagner (Harfang) et complété par Simon Tam (Émeraude) et Pierre-Philippe Thériault (PopLéon) sait comment produire une musique originale, captivante et accessible. Le niveau de production est très élevé et n’a pas grand chose à envier aux albums des majors de ce monde. Très léchée, leur pop fait une place à l’électro comme trame de fond et à des pistes vocales délicates qui viennent y occuper l’espace de fort belle manière. Le tout est complété par des rythmiques variées, passant sans problème de celles du hip hop à celles de l’indie rock.
Le titre qui ouvre l’album, «Shadows», est construit sur un lit de guitares bien fignolées et met progressivement la table en termes d’ambiance sonore et d’esthétisme. La seconde composition, la première à avoir été révélée au public, intitulée «Showdown», demeure probablement le moment fort de l’album, avec sa mélodie mémorable et sa production impeccable. La collaboration avec deux des hommes forts de la sphère sonore de Québec, surtout avec Dragos Chiriac (Men I Trust) mais on trouve également mentionné Jean-Étienne Collins-Marcoux (De La Reine), n’est probablement pas étrangère à cette réussite. La réalisation et le mix s’est passée surtout à deux, Dragos Chiriac venant épauler Samuel Wagner à réaliser le projet. «Hooked», la troisième piste du EP, était également connue du public, ayant servi de deuxième extrait, et elle conserve la cohérence esthétique et sonore tout en ajoutant une belle variété à la palette.
Le second moment fort de l’album à mon avis, c’est le quatrième ttire «Burning light», qui installe progressivement des couches sonores venant se compléter et se relancer, jusqu’au moment où le rythme change à l’amorce du dernier tiers, permettant aussi à la mélodie d’évoluer, d’incorporer des synthés qui sonnent comme une tonne de brique et de pousser les cordes vocales du chanteur-claviériste un peu plus loin. Un groove complètement captivant nous accompagne jusqu’à la fin, introduisant avec brio le dernier morceau du EP. Celui-ci, intitulé «A lifetime ago», rappelle au début certaines pièces de Radiohead, avec la voix qui rappelle plus que jamais celle de Thom Yorke, mais en plus serein. Tout de suite après le début, le style vocal change et le rythme aussi, dévoilant au final un titre un peu plus conventionnel mais avec une belle progression dynamique. Après le bridge, le morceau gagne en efficacité pour clore le disque en beauté.
C’est vraiment une belle grande parution que nous offre FLOES, malgré sa courte durée. Le disque démontre un savoir-faire indéniable derrière les compositions et l’interprétation est aussi au rendez-vous pour couronner de succès l’entreprise du groupe. Il leur est permis de rêver d’un succès international, le tout se déroulant en anglais, surtout si l’éventuel premier album complet relève le défi de garder un standard de qualité élevé et constant en plus d’élargir avec cohérence leur répertoire. Disons que la barre, ils se la sont fixée assez haute.
Un lancement au Pantoum à Québec est prévu pour le jeudi 2 juin – plus d’infos ici.
Le 14 mai dernier, le groupe lanaudois T-Bone, composé de Patrick Martin, Maxime Gervais, Frank Labelle, Ludovic Bastien et Maxime Desjardins, lançait officiellement leur premier EP de cinq pièces, Médium Saignant. La pochette inspirante est loin d’être illusoire; on y retrouve effectivement des thématiques de viande et de « totons ».
Tout comme le sujet abordé dans la pièce Les Sauveurs du Rock, la première écoute de l’album m’a replongé dans ce bon vieux rock agressif au langage cru. Ne faisant pas dans la douceur, Patrick Martin aborde de sa voix rauque des sujets clichés très mâles tels que la bière, les femmes, le bacon et le party. Le tout écrit évidemment avec une plume humoristique, certains passages rappelant les interventions de Mononc’ Serge dans Anonymus.
Distraction Fatale se démarque des autres pièces non seulement par son français « international », mais aussi par son texte allégorique imagé qui décrit la légèreté de la mode printanière.
Bacon Toton, qui selon moi est la plus accrocheuse de l’album, fait l’éloge du restaurant Les Princesses d’Hochelaga-Maisonneuve, réputé pour ses serveuses sexy plus que pour son service d’eau courante. On nous suggère le bon vieux truc pour se détoxifier le foie après une soirée arrosée, c’est-à-dire un traditionnel deux-oeufs-bacon-saucisses. Suite à son écoute s’est emparé de moi un terrible dilemme : aller y jeter un coup d’oeil, ou ne jamais y mettre le pied?
De par son côté musicalement plus agressif, Les Chiens Galeux se rapproche d’un son punk-trash similaire à Reanimator, groupe conjoint de Patrick, Frank et Ludovic. Le choix se justifie entièrement pour dépeindre des attaques de chiens enragés qui pourchassent des motocyclistes.
T-Bone amalgame prodigieusement le hard rock, le punk et le trash dans une énergie francophone contagieuse. Bref, si l’envie de vous secouer les méninges vous prend ou que vous cherchez une musique à écouter tout juste avant une contravention pour excès de vitesse, c’est Médium Saignant qui répondra à vos besoins!
Si vous n’aviez pas déjà compris que New Wave de plage était un joli extra-terrestre en regardant la pochette de l’album, la première chanson (pièce-titre) ne laisse place à aucun doute : Sunny s’amuse!
New Wave de plage est une collection de douze chansons inspirées par les séjours de Duval en Louisiane et dans les Antilles. Ces pièces ont souvent peu en commun entre elles, à part le fait qu’elles ont soit un petit côté new wave, soit un petit côté tropical. Certaines ont même les deux! Si à la première écoute, on peut être un brin surpris, les écoutes subséquentes révèlent plusieurs petits morceaux pleins de soleil.
Des pièces comme New Wave de plage ou Dominos (funky à souhait) peuvent rappeler la folie de Pied de poule. Parlant de Pied de poule, vous ne trouvez pas que Sunny a un timbre de voix qui peut rappeler celui de Marc Drouin? Bon, OK, j’ai compris, on quitte les années 1980 et on retourne en 2016! Aux côtés des chansons plus ludiques comme Bananana ou Noix de coco sur la tête, on retrouve des slows sirupeux comme La fièvre martiniquaise ou des pièces un peu gospel comme la fort jolie In the Sea.
On avait déjà entendu les efficaces Masque de rhum et Midi-Minuit, mais rien ne laissait présager cette Sand Bar, qui semble sortie tout droit d’une comédie musicale déjantée.
Duval n’a pas fait New Wave de plage tout seul : Marie-Anne Arsenault, Mara Tremblay, Jonathan Gagné, Jérôme Dupuis-Cloutier et le rappeur Yabock ont aussi mis la main à la pâte. Et tout le monde a eu du plaisir, bien entendu!
On peut comprendre pourquoi certains peuvent ne pas aimer, reculer en écoutant les premières notes de l’album, qui ressemble davantage à un exercice ludique de création qu’à un produit culturel. New Wave de plage est un ovni, je l’ai dit au début. Mais c’est un ovni qui s’apprivoise et qui, avec quelques écoutes derrière la cravate, risque fort de devenir un hit sur le bord de la… plage cet été.
Je l’avoue, à la suite de la première écoute de ce second volet dans la discographie de Bernhari, c’est un mélange de stupéfaction et de déception qui m’a habité. Le spectacle d’entre-tournée à la Grosse Lanterne avait été magnifique et la musique fleurtant souvent entre un rock foisonnant et un subtil shoegaze laissait entrevoir de douces promesses pour cette Île Jésus. J’espérais des effluves psychédéliques pour accompagner la voix sensuelle d’Alexandre Bernhari, mais c’est finalement des claviers lancinants qui m’ont accueilli. Je n’ai rien contre le clavier en soit, mais je ne pige pas cette mode rétro-année-80. Si ça fonctionne parfois, comme sur l’inventif Maladie d’amour de Jimmy Hunt, ça donne aussi naissance à des mélodies racoleuses qui auraient été mieux servies par un son plus moderne.
Pour les besoins de la critique, je me suis imposé quelques écoutes et une fois passée la déception initiale, je me suis surpris à voir mon appréciation croître pour certaines pièces en particulier. Toujours toujours était assurément un choix logique comme premier simple. Sa mélodie entêtante s’imprègne rapidement dans le cortex se transformant en sympathique ver d’oreille. La formule « claviers cheesy » fonctionne bien sur certaines pièces comme La Nébuleuse qui est portée par un rythme langoureux fort intéressant ou sur Laniakea (Les yeux) qui est joyeusement dansante. La guitare quasi classique-rock donne une teinte très intéressante à l’introduction de l’album et à l’intermède intitulés respectivement Royalement et Royalement II. On en aurait pris davantage. Les chansons plus lentes comme Aime-moi et Île Jésus tombent un peu à plat, ni portées par une mélodie mémorable, ni agrémenté de textes particulièrement inventifs. La réalisation signée encore une fois par Emmanuel Éthier (oui! le même qui a produit le fameux Maladie d’amour) est impeccable, mais on en vient à soupçonner l’homme d’être responsable de tous ces claviers dégoulinants.
Concernant les textes, l’album baigne dans le spleen amoureux et Bernhari est porté par une poésie moins inventive et urgente que sur son disque éponyme. Si l’auditeur est souvent plongé dans les lieux communs inhérents à ces thèmes, quelques morceaux se distinguent encore une fois tel Les années dix qui s’ouvre sur cette strophe douce amère: «C’est la décennie des écorchés / Je ferme les yeux et je fixe le noir / Je ne voudrais surtout pas me retrouver autre part». Toujours Toujours (on y revient à celle-là) semble être une subtile invitation à passer une nuit avec son auteur: « Que diriez-vous d’être seules /Avec moi de mordre la pomme / Dans un très grand lit / sous un tableau exquis ».
L’invitation à mordre cette pomme est lancée pour samedi soir prochain, le 21 mai au Cercle avec Les Louages en première partie. À voir… Bernhari est spectaculaire en spectacle.